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Communiqué sur l’épreuve de philosophie et son évaluation pour la session 2022 du baccalauréat

jeudi 23 juin 2022, par Acireph

Quant à l’épreuve de philosophie

Comme chaque année, mais peut-être cette année plus encore, les remontées des correcteurs et correctrices de l’épreuve de philosophie du baccalauréat 2022 font état, particulièrement dans la voie technologique, d’une absence inquiétante dans les copies de toute trace de travail et d’acquisition d’une culture et de méthodes proprement philosophiques ce qui rend difficile un travail de correction sérieux, mais invite aussi à s’interroger sur le sens de l’épreuve.

L’ACIREPh propose deux analyses, l’une quant au programme et à l’organisation de l’enseignement de la philosophie en général, l’autre quant aux changements suite à la réforme récente du lycée.

Avoir un programme

Le rapport Derrida-Bouveresse, publié en 1989, longtemps avant la naissance de nos élèves et de certains d’entre nous, dont l’un des éminents auteurs nous a quittés très récemment, indiquait, déjà, qu’il nous faudrait repenser nos programmes et nos épreuves. Il n’a jamais été entendu, et moins encore lors de la dernière réforme. Nous subissons, chaque année, les effets de cette surdité.

Or, comme en témoigne l’augmentation des adhésions à notre association et les discussions publiques entre collègues, il semble que certaines de ses conclusions fassent l’objet, désormais, d’un large consensus : l’enseignement de la philosophie, s’il doit être exigeant et formateur, s’il doit être démocratique, doit être explicite sur ses objectifs, doit reposer sur un programme plus déterminé et explicite, à la fois quant à ses exercices et à son contenu.

Si le consensus n’est pas un argument suffisant, ou s’il est contesté, il reste que les meilleurs arguments, à la fois nombreux et anciens, vont en ce sens. Redisons-le : notre discipline doit être une discipline scolaire, aux attendus explicites. Les élèves, comme les professeurs doivent savoir quoi attendre dans les copies qu’ils doivent corriger. La philosophie n’est pas un couronnement, un petit quelque chose de plus que l’on s’offrirait, en France, en fin d’année, et qui est bien difficile à définir, un mélange de rhétorique qui profiterait aux héritiers (et encore) et de vernis culturel.

En faveur de ce changement, ajoutons que les professeurs de philosophie, aujourd’hui, ne sont plus ce qu’ils étaient au moment de la publication de ce rapport contesté, les conditions d’enseignement ont largement changé : il n’y a plus une tradition française implicite de l’enseignement de la philosophie, mais une grande diversité de conceptions de la discipline, de ses buts, etc. Ce dernier fait constitue, sans doute, un argument de plus en faveur d’une transformation de nos programmes : si le programme n’est plus l’expression d’une tradition implicite ancrée chez les professeurs, il faut désormais qu’il fixe une perspective et des attendus communs.

La liste alphabétique qui tient lieu de programme, mise en place lors de la dernière réforme, avec son cortège de notions implicites, n’a guère de sens. Si l’objectif du lycée est de faire progresser les élèves, il faut un programme plus circonscrit, moins flou, qui fasse la part belle à l’écriture et à des exercices spécifiques : qu’un élève sache reconstruire précisément un argument, par exemple, qu’il connaisse quelques raisonnements classiques, fallacieux ou non, qu’on puisse savoir s’il connaît les réponses classiques aux problèmes qui entourent la liberté, la vérité, (ou tout autre sujet dont on considérera qu’il importe), qu’il sache ce qu’est une expérience scientifique, qu’il comprenne qu’on peut discuter des questions de justice sociale de façon argumentée. Si un enseignement doit être explicite, le programme doit être explicite.

Les épreuves doivent être conçues pour évaluer des savoirs précis et les programmes pour enseigner des contenus précis, élémentaires. Pour corriger, nous devons savoir ce que les élèves ont pu, précisément, faire, pour savoir ce qu’ils peuvent mobiliser. Nous voulons mettre des notes correctes, de bonnes notes, mais honnêtement, au terme d’une formation exigeante, sur des exercices qui soient réellement formateurs pour nos élèves, qui auront fait la preuve qu’ils ont atteint un certain niveau en fin d’année, à partir d’un corrigé qui pourrait être commun, comme une ébauche en a été faite pour les épreuves de la spécialité « Humanité, littérature, philosophie ». Tant que cela ne sera pas fait, nous serons confrontés au même problème.

Sur l’épreuve dans la voie technologique

L’ACIREPh l’avait déjà remarqué : le nouveau coefficient dans la voie technologique ne permet pas de travailler correctement. Il faut aussi, spécifiquement dans ces séries, rétablir les dédoublements obligatoires, si nous voulons que les élèves bénéficient a minima de notre enseignement. L’ACIREPh le demande avec insistance au ministère depuis de nombreuses années.

L’épreuve d’explication de texte, avec sa série de questions et sa double option, ne semble pas fonctionner. Ajouter des questions sans avoir des attendus explicites (comme reconstruire un argument, par exemple) est inutile. Concernant spécifiquement l’épreuve de philosophie du baccalauréat technologique, l’ACIREPh demande donc que soit remise en chantier une réflexion associant les professeurs de philosophie, l’inspection générale et la DGESCO visant à améliorer le format de cette épreuve. L’analyse du texte donné en explication pourrait notamment s’appuyer sur la mobilisation d’éléments de connaissance au programme, comme les repères conceptuels. L’ACIREPh reste disponible pour participer à une telle réflexion, ayant déjà établi des principes et produit des propositions de nouveaux formats d’épreuves.

Sur le sens de l’épreuve

Enfin, le sens de cette épreuve d’examen se trouve grandement mis en cause, dans le cadre d’un calendrier où elle intervient après la passation d’épreuves de spécialités aux coefficients déterminants et la remontée des premiers trimestres dans un dispositif d’orientation, Parcoursup, qui met fin à la valeur du baccalauréat comme premier grade de l’enseignement supérieur. L’ACIREPh demande au Ministre de l’éducation nationale de mettre en œuvre une concertation visant à établir un bilan des réformes Blanquer et de leurs effets sur la formation intellectuelles des élèves.

C’est pourquoi l’ACIREPh appelle à reprendre une réflexion de fond sur les programmes et les épreuves, qui se fasse en concertation avec les collègues. Il est urgent de reprendre une organisation démocratique des discussions au sein de l’Éducation nationale.

S’agissant des épreuves de la spécialité « Humanité, littérature, philosophie »

La nature de l’épreuve et les attendus doivent être repensés. Les élèves passent deux épreuves en une et force est de constater que même de bons élèves peuvent avoir des difficultés à réaliser les exercices dans le temps imparti. Il est aussi difficile de comprendre le rapport entre les exercices et le programme.

S’agissant de la correction des copies numérisées via l’application « Santorin »

● L’ACIREPh déplore la confusion qui règne dans les consignes adressées aux correcteurs et correctrices de l’épreuve de philosophie du baccalauréat : dans certaines académies, il a été confirmé qu’aucune annotation dans la marge des copies n’était nécessaire, en dehors de brèves marques attestant que chaque page avait été lue et d’une appréciation générale suffisamment précise justifiant la note attribuée. Dans d’autres académies, il est demandé d’annoter chaque copie comme s’il s’agissait d’une évaluation formative, au prétexte que les familles pourraient multiplier les recours grâce à l’accès facilité par la numérisation.

L’ACIREPh rappelle qu’aucun texte réglementaire n’impose aux correcteurs et correctrices du baccalauréat d’annoter l’ensemble des copies, puisqu’il s’agit d’une évaluation certificative et qu’il n’est pas question de donner des conseils de progression aux candidates et candidats. En outre, il est contradictoire d’autoriser les collègues à corriger hors ligne et de les enjoindre dans le même temps à annoter précisément les copies dans l’application Santorin.

● L’ACIREPh renouvelle sa demande que les copies originales de l’épreuve de philosophie soient fournies aux correcteurs et correctrices du baccalauréat qui en font la demande, afin de ne pas imposer des conditions de travail dont les bénéfices sont loin d’être unanimement reconnus.

L’ACIREPh constate par ailleurs que dans plusieurs académies, des collègues qui avaient pourtant été autorisés à corriger hors ligne en téléchargeant l’ensemble de leur lot de copies, ont reçu des courriels des services académiques leur indiquant que l’avancement de leurs corrections était inexistant et que les copies non corrigées sur « Santorin » pouvaient être réattribuées. Elle demande que ces pratiques de contrôle à distance cessent.

Quant au rôle des jurys dans l’harmonisation des notes

Suite à la correction de l’épreuve de la spécialité « Humanités, littérature et philosophie », certaines académies ont procédé à une modification des notes attribuées par les correcteurs, dont la moyenne a parfois été augmentée de plusieurs points, sans qu’aucun compte n’en soit rendu. Cette « harmonisation » opaque, effectuée par des commissions dont la composition ne comprend pas les correcteurs eux-mêmes, achève de les déposséder de leur mission. Elle affaiblit en outre considérablement la légitimité du baccalauréat comme diplôme national, qui reposait jusqu’à la réforme « Blanquer » sur des jurys de délibération souverains auxquels étaient convoqués les correcteurs. L’ACIREPh demande que de tels jurys de délibération soient seuls habilités, de façon collégiale et transparente, à modifier les notes attribuées aux épreuves de l’examen.

Quant au texte donné en explication au baccalauréat technologique

S’agissant du texte donné en explication dans la voie technologique, l’ACIREPh constate qu’il est attribué à Diderot dans les sujets, tandis qu’il fut en réalité écrit par l’Abbé de Prades, avec lequel Diderot, en introduction ainsi qu’en conclusion de l’article « Certitude », manifeste son désaccord. L’ACIREPh se réjouit que, par ce choix de texte, l’inspection valide la demande exprimée par notre association depuis plusieurs années d’une suppression de la liste d’auteurs et d’autrices au programme, dont l’utilité et le sens restent à démontrer.

● Enfin, l’ACIREPh demeure dans l’attente d’une réponse du Directeur général de l’enseignement scolaire, à qui elle a adressé le 24 mai 2022 un courrier faisant état des demandes des professeurs de philosophie qu’elle représente.