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Propositions de l’Acireph pour le programme des séries technologiques
Le 9 novembre 2001, deux représentants de l’Acireph, Jean-Jacques Rosat et Michel Vignard, ont été reçus par le Groupe d’Experts, présidé par Michel Fichant, qui était en charge de la rédaction de nouveaux programmes pour les séries technologiques. Ce texte reprend l’essentiel de l’exposé initial de Jean-Jacques Rosat. Finalement, le GE Fichant décidera … de ne rien changer ! Les propositions faites alors conservent toute leur pertinence et expriment aujourd’hui encore la position de l’ACIREPh.
vendredi 9 novembre 2001, par
Le 9 novembre 2001, deux représentants de l’Acireph, Jean-Jacques Rosat et Michel Vignard, ont été reçus par le Groupe d’Experts, présidé par Michel Fichant, qui était en charge de la rédaction de nouveaux programmes pour les séries technologiques. Ce texte reprend l’essentiel de l’exposé initial de Jean-Jacques Rosat.
Finalement, le GE Fichant décidera … de ne rien changer ! Les propositions faites alors conservent toute leur pertinence et expriment aujourd’hui encore la position de l’ACIREPh.
1. CE QUI DOIT ÊTRE PRIS EN COMPTE DANS L’ÉLABORATION D’UN PROGRAMME
1. 1. Ne pas se masquer les très grandes difficultés de l’enseignement de la philosophie dans les séries technologiques
1. 1. 1. Du côté des professeurs :
Il y a les classes où notre enseignement est parfois ouvertement en échec : des classes où l’on est dans une situation telle qu’on ne peut plus vraiment faire cours, où l’on fait semblant, où l’on a fini par baisser les bras ; ou bien, des classes où l’on a passé un compromis un peu honteux (on fait cours avec quelques élèves de bonne volonté en laissant ouvertement le reste de la classe faire autre chose).
Il y a les classes où, même quand elles fonctionnent vaille que vaille, nous avons souvent le sentiment de perdre notre temps : parce que nous n’arrivons pas à mettre les élèves au travail ; parce que nous avons le sentiment qu’il n’y a aucune différence entre les copies qu’ils nous remettent en mai et celles qu’ils nous remettaient en septembre. Bref, où nous avons souvent le sentiment que notre enseignement n’a aucune prise.
Les classes des séries technologiques sont des classes où une majorité de profs va à reculons : l’enseignement de la philosophie y est souvent vécu comme un mal nécessaire, comme un purgatoire en attendant la mutation libératrice. Et combien d’enseignants disent à mi-voix - à mi-voix parce que ce n’est ni politiquement, ni corporativement correct - : en l’état actuel des choses, ’ on ne peut pas sérieusement enseigner la philosophie dans ces séries-là ’, ou : ’ je fais du français, de l’animation culturelle, mais pas de la philo ’, ou ’ ça devrait être une matière optionnelle ’. C’est un enseignement dont la légitimité parmi nous n’est pas acquise, ou acquise seulement du bout des lèvres.
Et même quand on y croit et qu’on se bagarre pour tenir, on a le sentiment de mener une bataille épuisante : parce que tout se passe comme si, à chaque cours, il fallait à nouveau justifier sa présence et la présence de la philosophie ; parce que les choses y sont extrêmement volatiles et, si un cours s’est bien passé et qu’on a le sentiment d’avoir avancé, le suivant peut être, sans qu’on comprenne toujours bien pourquoi, une catastrophe. On a souvent le sentiment de se battre tout seul contre les moulins.
1. 1. 2. Du côté des élèves
La philosophie est une discipline où, quand ils ont envie de s’intéresser, de travailler, de bien faire, les élèves ont vite le sentiment de ne pas savoir par quel bout prendre les choses pour progresser, que tous les efforts qu’ils font sont inutiles et que de toute façon ils auront une sale note au bac : ce en quoi statistiquement ils ont raison.
Nous devons nous demander si notre enseignement n’a pas souvent l’effet inverse de celui auquel il prétend. Quand on met systématiquement des élèves en échec parce qu’il ne savent pas et ne peuvent pas savoir faire ce que nous leur demandons, et quand ils savent qu’ils ne savent pas le faire, alors non seulement on les humilie, mais on les persuade que la pensée et la culture, ça n’est pas pour eux (ou on les conforte dans cette idée).
1.2. Prendre en compte les spécificités de ces séries
Cette question de la spécificité des séries technologiques est une de celles dont nous avons beaucoup parlé lors de notre récent Colloque des 27 et 28 octobre : Enseignement de la philosophie et démocratisation : le défi des séries technologiques.
Bien entendu, il n’y a pas partout et sur tous les points un fossé entre les séries générales et les séries technologiques : il y a des classes de L et de ES où la moitié la plus faible de la classe a un niveau qui ne diffère guère de celui de bien des STT ; et la situation n’est pas la même selon qu’on est dans un lycée exclusivement technologique ou dans un lycée polyvalent, et surtout selon les politiques d’orientation et de sélection qui varient beaucoup d’un lycée à l’autre ou d’une académie à l’autre.
Bien entendu également, il y a entre les différentes séries technologiques une extrême hétérogénéité, à mon avis plutôt plus grande encore qu’entre les différentes séries générales, une hétérogénéité notamment dans l’attitude vis à vis de l’école et vis-à-vis d’une discipline comme la philosophie - l’hétérogénéité la plus grande étant d’ailleurs sans doute celle qu’on observe entre les classes exclusivement (ou presque exclusivement) féminines et les classes exclusivement masculines.
Il n’en demeure pas moins - c’est en tout cas ce qui se dégage de nos discussions - qu’il y a des spécificités des classes technologiques et qu’il est déraisonnable de ne pas les prendre en compte comme on continue de le faire aujourd’hui. - Je ne relève que quelques points.
Premièrement, la plupart de ces élèves sont là parce que ça s’est mal passé pour eux les années précédentes dans les enseignements généraux et qu’ils ont été, comme on dit, orientés, avec tous les mécanismes de dépréciation de soi qui sont la conséquence des procédures de sélection. Très souvent, ils ont pu, dans les matières technologiques et professionnelles retrouver une identité positive et un peu de confiance en eux-mêmes. Mais la philosophie - la plus générale des disciplines générales - les remet en présence de leurs insuffisances, surtout si les modalités de l’enseignement restent les modalités traditionnelles, c’est-à-dire un enseignement dispensé sous la forme canonique de la leçon, où l’activité principale de l’élève - c’est bien ce que nous dit la fameuse circulaire de De Monzie qui, depuis 1925, régule toujours notre enseignement dans toutes les séries - est de prendre des notes (chose que pour bon nombre d’entre eux ils ne savent pas faire) et où l’exercice canonique est la dissertation (exercice qui leur est extrêmement difficile, pour ne pas étranger, et que dans certaines séries, comme les STI, il n’y a même vraisemblablement pas de sens à leur faire faire, dans les conditions actuelles en tout cas - j’y reviendrai).
Deuxièmement, la plupart de ces élèves ne se destinent pas à l’université, mais à un enseignement court et professionnalisé - enseignement qui, s’ils y réussissent pourra s’allonger, mais toujours, la plupart du temps, avec une forte marque pré-professionnelle, non seulement dans les matières étudiées, mais dans la forme même de l’enseignement (importance des stages, par exemple). Or, comme nous nous sommes contentés jusqu’à présent, en philosophie, de transposer les modalités adoptées dans les séries générales - et qui plus est, adoptées à une époque où l’enseignement dans les lycées n’était pas un enseignement de masse -, il y a évidemment un hiatus entre eux et nous. Je ne prends qu’un exemple : les élèves de ces séries ont l’habitude de faire l’essentiel de leur travail en classe (puisqu’ils ont beaucoup d’heures de cours et que leur travail est fortement encadré) et proportionnellement beaucoup moins à la maison. Quand nous arrivons en début d’année en leur disant : il faudra passer au moins 4 heures, voire 6 ou 7, sur votre premier devoir de philo, nous leur parlons tout simplement une langue étrangère : ça n’a pas de sens pour eux de travailler de cette manière-là.
Le troisième et dernier trait sur lequel je voudrais insister, c’est que les classes de ces séries sont souvent aujourd’hui des classes très multiculturelles. C’est un trait qui varie évidemment beaucoup d’un lycée à l’autre et d’une série à l’autre, mais nous ne pouvons pas ne pas le prendre en considération. Je veux dire simplement que l’exigence souvent formulée de construire les bases d’une culture commune et de fournir aux élèves des outils intellectuels qui les aident à se situer dans la société où ils vivent nous paraît encore plus pressante que dans les autres séries. Sans vouloir rouvrir des polémiques, je voudrais quand même vous poser une question à vous qui êtes en charge de rédiger aujourd’hui un programme : dans quel monde vivent les professeurs de philosophie pour que, s’agissant des séries générales, on ait, il y a quelque mois, rendu facultative la question ’ Religion et rationalité ’ ? Quelle idée du rôle de la philosophie et de l’enseignement de la philosophie dans notre société cela suppose-t-il ? A quel citoyen fera-t-on aujourd’hui comprendre une décision pareille ?
Que conclure de tout cela ? Tout simplement que nous ne pourrons continuer très longtemps à justifier un enseignement de la philosophie dans ces séries si nous n’inventons pas pour elles un modèle différent de celui qui y a été implanté, et qui vient des séries générales d’autrefois. Nous ne pensons pas qu’on y arrivera du premier coup. Mais nous pensons que le travail de votre GE ne se justifie que s’il permet de faire un premier pas dans cette direction. Sinon, si votre travail aboutissait simplement à remplacer trois notions par trois autres, il ne servirait à rien.
Je connais bien l’objection à un tel constat : ’mais nous connaissons aussi toutes sortes de difficultés dans les séries générales : les séries technologiques n’en offrent souvent que le miroir grossissant’. C’est vrai, à ceci près que, si les difficultés se concentrent trop et s’aggravent trop, on n’est plus seulement en présence d’une différence de degré : les problèmes changent de nature. C’est une expérience que certains d’entre vous ont peut-être faite : quand je suis passé du gros lycée technique où j’ai enseigné pendant 8 ans à Reims à un lycée général parisien, de réputation pourtant médiocre, j’ai eu le sentiment tout simplement que je changeais de métier.
1.3. Poser explicitement les finalités de la formation
Il nous faut reconnaître que l’intérêt et la légitimité de l’enseignement de la philo dans ces séries ne vont pas de soi parce que, jusqu’à présent, collectivement, nous n’avons pas été à même de démontrer qu’il a pour les élèves de ces séries, tels qu’ils sont et telles que sont ces séries, une valeur formatrice.
On ne peut pas se satisfaire de répéter des formules abstraites du type : ’apprendre à penser par soi-même’ / ’développer l’esprit critique et l’autonomie du jugement’. Ce n’est pas qu’elles soient fausses ou mauvaises. C’est qu’elles ne nous aident pas à définir en quoi nous pouvons prétendre être utile à ces élèves, et encore moins, comment nous pourrons parvenir à l’être.
Un programme, s’il veut être digne de ce nom, doit formuler de manière forte, claire, explicite, les finalités que peut sérieusement se proposer un enseignement de philo dans ces séries.
Je ne prendrai qu’un exemple. Beaucoup d’élèves de ces séries ont des capacités assez limitées à participer à un débat d’idées. Débattre, pour eux, c’est souvent ’dire ce que je pense’ ; et si quelqu’un dit autre chose, on ne l’écoute pas, ou on se fâche. Comment espérer que des élèves qui n’ont pas de pratique du débat oral puissent un jour faire des dissertations où ils ont à faire débattre entre elles des positions philosophiques différentes ? Plutôt que des affirmations générales sur « la philosophie est nécessaire à la formation du citoyen », il vaudrait mieux établir que l’un des objectifs de l’enseignement de la philosophie, c’est l’apprentissage à la participation à un vrai débat d’idées, un débat où on prend de la distance par rapport à sa propre position, où l’on se décentre, où l’on évolue ; débat d’abord oral, et ensuite écrit. Cela ne veut pas du tout dire : transformer la classe en café du commerce, ou en café philo. Mais le débat, comme beaucoup d’autres choses, cela s’apprend. C’est une question pédagogique : il y a des méthodes pour apprendre à débattre. Ça peut être ce que nos amis du GFEN appellent le Colloque des philosophes ; ça peut être la méthode du Journal de bord essayée avec un certain succès dans les expérimentations d’enseignement de la philo dans les lycées professionnels (j’y reviendrai) ; et puis il y a vraisemblablement des démarches qui ont été essayées par nos collègues qui inventent, expérimentent dans leurs classes : il faut faire circuler les idées, expérimenter, réfléchir. Mais la condition première c’est de se fixer un tel objectif.
2. A QUELLES EXIGENCES DEVRAIT RÉPONDRE LE PROGRAMME
2.1. Reconnaître qu’un programme de notions est complètement inadéquat
Il y a eu unanimité à notre Colloque contre le maintien d’un programme de notions nues. S’est manifesté, en revanche, un vif intérêt pour le programme de 1969 (dont beaucoup ont découvert l’existence) qui a duré jusqu’en 1973. Ce programme n’était pas du tout un programme de notions ; il était constitué de 3 thèmes avec des déterminations ; à ma connaissance, ce programme avait été rédigé à l’époque par deux personnalités qui passeraient aujourd’hui sans doute pour de dangereux hérétiques : Dina Dreyfus et Etienne Borne, qui étaient l’un et l’autre Inspecteurs Généraux.
La notion n’est peut-être pas si naturellement et consubstantiellement liée à l’enseignement de la philosophie qu’on le prétend souvent. Mais un programme de notions est encore plus inapproprié pour l’enseignement technologique que pour l’enseignement général.
1ère raison : Son indétermination rend impossible une évaluation sérieuse à l’examen. Ceux qui défendent un programme de notions, déclarent que c’est au professeur de mener le travail de problématisation. Et si on leur fait remarquer : ’mais sur chaque notion, il y a 5 ou 10 ou 15 problèmes qui peuvent donner lieu à des sujets d’examen’, la réponse est généralement la suivante : ’si la notion a été philosophiquement traitée par le professeur, alors l’élève doit pouvoir réutiliser son cours, c’est-à-dire, transposer à un problème différent’. Pour le dire franchement, nous pensons que, quand il s’agit des séries technologiques, cette réponse n’est pas sérieuse : d’une part, à raison de 2 heures de cours par semaine, le traitement philosophique de la notion (n’y en aurait-il plus que 5 en 6) ne peut guère aller loin ; et surtout, parce que, à quelques exceptions près, aucun élève des séries technologiques n’est capable d’effectuer la transposition requise.
Je ne prendrai qu’un seul exemple, celui de l’Histoire. Y en a-t-il un seul parmi nous qui puisse prétendre faire à ses élèves des séries des technologiques un cours qui les rende capables de traiter des sujets aussi différents que : Pourquoi s’intéresser à l’histoire ? (2000)
2ème raison : Plus que les autres encore, les élèves des séries technologiques ont besoin d’un cadre pour travailler, de savoir ce qu’ils doivent apprendre, ce sur quoi il doivent faire porter leurs efforts. Comment veut-on qu’avec un tel programme ils ne restent pas convaincus que la philo est une discipline où ce qui compte c’est le ’ baratin ’, la ’ tchatche ’ ? Et honnêtement, ont-ils tout à fait tort ? Si aucun contenu n’est exigible le fumiste habile s’en sort toujours mieux que l’élève scolaire un peu laborieux.
2.2. Libeller les questions (problèmes) de telle sorte qu’elles aient un sens pour les élèves
Il nous semble qu’il faut passer à un programme de questions (ou de problèmes) plus déterminées. Celle-ci doivent évidemment être des questions philosophiques reconnues comme telles, mais pas des questions purement internes à la philosophie : elles doivent être des questions philosophiques évidemment, mais qui ont immédiatement un sens pour les élèves, c’est-à-dire : où ils voient immédiatement qu’il y a quelque chose qui fait difficulté et où ils entrevoient qu’il y a des enjeux à prendre position de telle manière plutôt que de telle autre.
Le bon critère pour sélectionner de tels problèmes n’est sûrement pas : ’qu’est-ce qui les intéresse ?’ ’Ou de quoi ont-ils envie qu’on parle ?’ - C’est plutôt : ’quels sont les problèmes dont ils peuvent faire sans trop de difficultés leurs problèmes ?’ Quelques exemples, dont il faudrait bien entendu discuter : La liberté et la loi. - Les vérités sont-elles absolues ou relatives à ceux qui les énoncent ? -Egalité et différence. - Désir, amour et amitié. - La pensée, le cerveau, les machines. -Religion et politique.
Je voudrais faire une remarque sur ce dernier problème : un enseignement de philosophie n’a aucun sens ni aucune justification s’il ne fournit pas aux élèves quelques outils intellectuels et critiques pour mieux comprendre les discours qu’ils entendent et les problèmes du monde où ils vivent. Le programme de 1983 a fait disparaître la religion au motif, à l’époque, que les professeurs faisaient trop de science humaines, de Marx ou de Freud, et pas assez de vraie philosophie. Ce qui suppose une conception extraordinairement étroite de l’enseignement philosophique. Mais même un cours sur la religion en général peut être complètement déconnecté, et peut ignorer des problèmes où se jouent l’identité de chacun et la nature du lien social. Et traiter sérieusement religion et politique, cela ne veut pas dire nécessairement commenter le dernier article du Monde. Cela peut parfaitement passer par telle page du Traité théologico-politique.
2.3. Lier aux questions des éléments de connaissance indispensables et exigibles
Si nous voulons que nos élèves puissent traiter avec un minimum de sérieux les questions sur lesquelles nous voulons les inviter à réfléchir, il faut non seulement que nous leur donnions les outils qui leur permettent de le faire avec un minimum de pertinence, mais il faut aussi qu’ils sachent que ce sont ces outils-là qu’il leur faire s’approprier. Il faut leur dire ce qu’il faut qu’ils sachent et ce faute de quoi ils ne produiront que du verbiage.
Ces éléments de connaissance peuvent être de diverses sortes :
– Ce peuvent être des distinctions conceptuelles (par exemple : si la question est Loi et liberté, des distinctions pourraient être : contrainte et obligation - ou fait et droit, etc.
– Ce peuvent être des catégories définissant par exemple des positions fondamentales en philosophie. Si une question s’intitulait : Les vérités sont-elles absolues ou relatives à ceux qui les énoncent ? un de ces éléments de connaissance pourrait être évidemment : le scepticisme.
– Enfin, on peut parfaitement concevoir que des textes classiques et fondamentaux qui sont des points de passage quasi obligés pour traiter philosophiquement ces questions figurent comme tel au programme : par exemple, comme je l’évoquais à l’instant, quelques pages du Traité théologico-politique pour traiter : religion et politique.
2.4. Diversifier partiellement les programmes selon les séries à partir du contenu des disciplines principales
Nous pensons que dans chaque série une partie du programme, une question au moins par exemple, devrait être spécifique à la série en question. D’une part, on renforcerait et on rendrait plus compréhensible la place de l’enseignement philosophique dans chacune de ces séries si on établissait un lien explicite avec la matière qui y occupe la place principale. D’autre part, on renforcerait la confiance des élèves (ils en ont très peu) dans leurs capacités de réflexion si on reconnaissait la valeur intellectuelle, et l’intérêt pour la réflexion, des connaissances et des compétences qu’ils ont acquises dans les disciplines dites technologiques.
On peut penser à toutes sortes de choses : une réflexion sur La vie et les normes en SMS, ou sur Justice et économie dans certaines séries tertiaires. Mais peut-être faudrait-il d’abord connaître et examiner les programmes de ces disciplines pour décider de la meilleure manière de mener sur elles un retour réflexif.
2.5. Proposer de nouveaux exercices ou de nouvelles modalités des exercices actuels
J’ignore si la commande que vous a passée le Ministre concerne aussi les épreuves du bac, mais il nous semble que, dans une discipline qui n’existe que pour l’année d’examen, on ne peut pas réfléchir au programme sans réfléchir aux exercices terminaux qui sont aussi ceux à travers lesquels les élèves se forment pendant l’année. Et, de ce point de vue, comme le montre la correction du bac, la dissertation dans sa forme actuelle fonctionne très mal, c’est le moins qu’on puisse dire. Il nous semble qu’on pourrait essayer d’avancer dans deux directions.
D’une part, pour qu’une dissertation de philosophie soit une dissertation de philosophie, faut-il absolument que le sujet soit en soit un énoncé elliptique et sibyllin ? Pour dire les choses un peu fortement : nous sommes obligés de dire à nos élèves : ’ surtout, ne répondez pas directement à la question qui est posée ; derrière cette question est caché un problème : à vous de le trouver et de le formuler, puis alors seulement de le traiter. (Par exemple, derrière la question : Les historiens ne se bornent-ils pas à raconter des histoires ? il faut, à partir d’une distinction entre deux sens du mot histoire, voir que le problème est en réalité de savoir ce qui différencie un historien d’un romancier, c’est-à-dire, au bout de compte, si l’histoire peut prétendre à une vérité ; et si oui, de quel type, etc.) Ce jeu purement rhétorique est peut-être formateur pour les khâgneux. Mais il a des effets désastreux pour les élèves des séries technologiques puisqu’ils sont totalement incapables de le jouer. Il conduit non seulement aux hors sujet mais surtout à toutes les copies où il n’y a pas un gramme de philosophie, tout simplement parce que l’élève n’a pas vu et encore moins su formuler le problème qui était caché, comme le bonhomme dans l’arbre dans une image-devinette. La problématisation est devenu un mot magique parmi les profs de philo. Mais il est complètement ésotérique pour les élèves. Est-ce qu’on ne pourrait pas épargner aux élèves cette phase ’chic’ mais vaine et trompeuse. Cela supposerait de construire des sujets de dissertation qui formulent et exposent clairement un problème en plusieurs phrases, c’est-à-dire qui explicitent ce qui fait difficulté, ou indiquent les diverses options classiques possibles. - Certains vont s’écrier : mais les élèves n’auront plus à penser. - Je n’en crois rien : comprendre un problème, lui donner sens, trouver des exemples à partir desquels y réfléchir, explorer certaines des manières d’y répondre dont la direction a été indiquée, et répondre finalement au problème posé, cela laisse il me semble beaucoup de travail à la pensée !
D’autre part, on peut concevoir une épreuve sur texte d’un type différent de celle qui existe aujourd’hui, une épreuve guidée que la philosophie est la seule discipline de l’enseignement secondaire à n’avoir pas encore été capable d’inventer : un texte plus long (une cinquantaine de lignes) et une série de questions allant de la question de vocabulaire à la demande d’une réflexion personnelle sur le problème soulevé par le texte, en passant par la demande formulation d’une objection ou de recherche d’un exemple pertinent. - Un des problèmes majeurs de la dissertation est qu’elle demande non seulement de multiples compétences, mais surtout de les exercer toutes simultanément. Un tel exercice aurait l’avantage de faire appel à ces compétences une à une, c’est-à-dire à la fois de les expliciter et de mieux les évaluer.
2.6. Indiquer des orientations pédagogiques
Le programme lui-même, ou des documents d’accompagnement, devraient inclure un certain nombre d’orientations pédagogiques pour aider et soutenir le travail des professeurs, notamment des jeunes profs qui se retrouvent, à la sortie des concours, en territoire complètement inconnu, mais aussi de tous les autres qui essaient de tenir et de ne pas baisser les bras. Là encore, juste un exemple : la question de l’écrit.
Je partirai de l’expérimentation menée en bac pro dont je voudrais retenir un point : les collègues se sont aperçus qu’il y avait un grand décalage entre la qualité des réflexions que, ponctuellement au moins, les élèves étaient capables d’exprimer à l’oral et l’indigence de leurs productions écrite ; ils ont fait l’hypothèse que les difficultés à l’écrit n’étaient pas seulement des ’difficultés d’expression’ comme on dit, des difficultés avec la langue, mais des difficultés avec la situation scolaire et abstraite qui est celle de l’élève devant sa feuille blanche, écrivant sur un sujet imposé, et surtout pour personne : ce qui les conduit soit à ne presque rien écrire, soit à écrire des choses totalement impersonnelles. On connaît bien ces problèmes avec tous les élèves qui copient ce qu’ils trouvent à droite à gauche, pas forcément par paresse, mais parce que ce qu’ils écrivent en classe est quelque chose qui leur est totalement extérieur.
Les collègues ont donc eu l’idée, pour débloquer et modifier le rapport de ces élèves à l’écrit, d’instaurer ce qu’ils ont appelé un journal de bord, soit individuel, soit collectif, qui permet un va-et-vient entre l’oral et l’écrit, et une appropriation de l’écrit. Par exemple, le cours démarre sur un problème, le prof parle, les élèves interviennent, discutent ; à un moment donné, la discussion s’arrête, et les élèves ont alors pour tâche de consigner dans leur cahier ce qui vient de se dire (c’est-à-dire, pas seulement ce qu’ils ont dit eux-mêmes : ce qui s’est dit). Puis des élèves lisent ce qu’ils ont écrit, et on relance une discussion et une réflexion à partir de là, etc. - Il ne s’agit pas d’imposer aux professeurs des pratiques pédagogiques déterminée, mais de dire aux enseignants : un de vos objectifs, c’est de faire en sorte que l’écrit soit moins étranger, moins extérieur, à ces élèves ; ces difficultés ne tiennent pas seulement à la mauvaise maîtrise de la langue, mais à un certain rapport faussé ou malheureux rapport à l’écrit qui a toutes sortes de raisons. Vous pouvez par exemple, vous engager dans telle ou telle démarche, etc.
On n’avancera pas dans ces séries si le programme ou les instructions n’invitent pas les professeurs à l’innovation, mais aussi ne leur indiquent pas un certain nombre de pistes.
2.7. Sur l’enseignement de la philo en première
Bernard Decomps, Directeur de l’ENS Cachan, qui est l’auteur d’un récent Rapport intituléUne nouvelle ambition pour les séries de sciences et de technologie et qui est venu nous en parler à notre Colloque, a fait figurer comme proposition le doublement des heures de philo dans ces séries, sous forme d’un enseignement de deux heures en première.
Cette question n’entre pas stricto sensu dans la mission de votre Commission, mais tout de même : vous avez dit, Michel Fichant, dans une interview donnée en juin dernier, que vous n’étiez pas hostile à l’idée d’introduire de la philo en première. Ce serait particulièrement important dans ces séries, où l’on pourrait construire un enseignement progressif, et surtout, travailler pendant un an sans avoir au-dessus de la tête l’épée de Damoclès de l’examen. Cela donnerait beaucoup plus de liberté pour imaginer des formes de travail avec les élèves et pour les aider à construire la culture qui leur manque. - L’étalement de l’enseignement sur 2 ans dans ces séries changerait complètement la donne. Il nous semble que rien ne vous interdit de faire cette préconisation.
3. FAIRE DE L’ÉLABORATION DE CE PROGRAMME L’AFFAIRE DE TOUS LES PROFESSEURS DE PHILOSOPHIE
3.1. Ne pas inscrire votre travail dans un calendrier court
Tout ce que je viens de dire montre que l’élaboration d’un vrai programme pour les séries technologiques suppose de dresser un bilan de ce qui s’y passe, de mener une réflexion approfondie, de consulter et d’associer le plus possible de ceux qui y enseignent : nous ne voyons pas comment il est possible de mener ce travail en profondeur en 3 mois.
Certes, nous savons bien qu’il y a une commande du Ministre et que vous n’êtes pas complètement maître de votre calendrier. Mais il nous semble que, si vous remettez un projet au ministre dans 2 mois, vous aurez fermé le dossier avant de l’avoir ouvert. Ce sera ressenti par tous ceux de nos collègues qui enseignent dans ces séries, et qui attendent souvent depuis des années qu’on prenne leurs problèmes vraiment au sérieux, comme une immense déception et, une nouvelle fois, comme une non-reconnaissance du travail qu’ils y font.
Il nous semble que vous ne pouvez pas raisonnablement vous caler dans ce calendrier et qu’il faut saisir l’occasion de la rédaction de ce nouveau programme pour créer les conditions d’une vraie réflexion collective.
3.2. Ne pas mener la consultation sur un projet entièrement bouclé mais offrir des options et des alternatives
Il nous semble aussi qu’il faut tirer la leçon des expériences passées et éviter cette fois de mener une consultation sur un programme déjà bouclé, ce qui conduit à une espèce de vote bloqué, ou plébiscitaire, qui empêche qu’on discute de ce qui se passe dans les classes et qui empêche l’apparition d’idées neuves, mais favorise les affrontements sur des a priori.
Nous pensons donc que votre Groupe d’Experts devrait proposer des alternatives : par exemple : pensez-vous qu’il est préférable que le programme soit constitué de notions nues ? ou notions avec des déterminations ? ou problèmes ?