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La philosophie dans l’enseignement secondaire au Portugal (4)
IV. L’examen national, ses épreuves et l’évaluation
mardi 2 mai 2023, par
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IV. L’EXAMEN NATIONAL, SES ÉPREUVES ET L’ÉVALUATION
1. L’EXAMEN NATIONAL
Comme l’a indiqué Joaquim Neves Vicente la logique qui préside aux examens nationaux est très différente de la nôtre. Il n’y a pas d’équivalent du baccalauréat car ces deux fonctions - certification de réussite du secondaire et condition probatoire d’accès à l’enseignement supérieur – sont disjointes dans le système portugais.
1° La certification de la réussite du secondaire (l’obtention du diplôme d’enseignement secondaire) s’obtient par une évaluation interne aux établissements selon des standards nationaux soumis à un contrôle externe.
2° « L’examen national » n’est pas passé par tous les élèves, mais seulement par les élèves qui :
– ont échoué à l’évaluation interne ou qui veulent améliorer leur classement interne ;
– veulent terminer le cycle d’études secondaires dans les disciplines de l’examen ;
– la philosophie pouvant remplacer une des autres disciplines facultatives comme elle ;
– veulent accéder à l’enseignement supérieur
Contrairement à ce qui se passait en France quand le baccalauréat couvrait presque toutes les disciplines enseignées, l’élève portugais ne passe que les disciplines de base de son cursus ; il peut opter en outre pour deux autres disciplines nécessaires pour accéder à telle ou telle filière l’enseignement supérieur. Les examens nationaux servent donc de probation pour l’entrée dans le supérieur, mais chaque établissement fixe ses exigences. Par exemple :
– pour étudier l’histoire à l’Université de Coimbra, il faut avoir passé l’examen de philosophie, d’histoire ou de portugais, mais à Porto, les disciplines dont il faudra avoir passé les examens sont l’économie, l’histoire ou le portugais.
– dans un Master Intégré de Médecine, il faut toujours avoir réussi les examens nationaux en biologie et géologie, physique et chimie, et « mathématiques-A » (option liée au cursus secondaire choisi).
En résumé, le Portugal a mis en place un diplôme d’études secondaire validé par des évaluations internes aux établissements ; les examens nationaux comportent peu de disciplines obligatoires et facultatives ; l’accès à l’Université est sélectif, il se fonde sur les classements obtenus et les universités peuvent déterminer, selon le cursus désiré par l’étudiant, les disciplines qu’il aura dû obligatoirement passer et réussir à « l’examen national ».
La philosophie est une option facultative à l’examen national qui ne concerne que 12 à 13% des élèves.
Des modifications de l’examen national ont été annoncées début 2023, elles sont prévues pour la session 2024. Elles ne changent pas la logique d’ensemble et porteront sur la pondération des disciplines en fonction de leur durée d’enseignement au lycée (biennale ou triennale) ; le changement notable est que l’épreuve de portugais deviendrait obligatoire, les élèves devant toujours passer, par ailleurs, deux autres épreuves (l’une dans les disciplines liées à leur cursus et l’autre aux choix). Tout cela est en discussion, mais on peut noter que l’épreuve obligatoire de langue nationale traduit probablement des difficultés analogues à celles que nous constatons dans le supérieur en France.
2. L’ÉPREUVE DE PHILOSOPHIE À L’EXAMEN NATIONAL
Dans l’entretien Joaquim Neves Vicente déjà donné de précieux éclaircissements sur les épreuves.
Premier fait notable : le format et l’évaluation de l’épreuve de philosophie à l’examen national sont dans leur principe indépendants des exercices et évaluations faits en classe. Les établissements peuvent (ou non) prévoir une préparation spécifique pour les quelques élèves qui choisissent la philosophie à l’examen national. Mais des enseignants observent que dans certains établissements l’examen national, que très peu d’élèves passent en philosophie, pèse sérieusement sur les modalités des évaluations faites en classe.
Deuxième fait notable : l’accroissement continu du poids des QCM à l’examen - pour se conformer aux standards d’évaluation par « tests » que cherchent à promouvoir l’OCDE, l’Europe et les diverses agences nationales et internationales d’évaluation - ce qui suscite des critiques de plus en plus vives.
Troisième fait notable : l’absence d’écrit long du type essai philosophique ou explication de texte à l’examen national de philosophie. On pourrait pourtant considérer que savoir organiser une pensée suivie, savoir composer, tenir et rédiger un propos structuré sont des compétences philosophiques de base qui devraient pour cette raison trouver place dans un examen national de philosophie ; plus encore, on peut estimer que ce sont aussi des compétences nécessaires à la vie sociale, professionnelle et citoyenne – et socialement très discriminantes quand leur maîtrise fait défaut – et que leur acquisition est une condition de l’égalité et de la réussite du plus grand nombre dans l’enseignement supérieur. Enfin, on pourrait estimer que refuser ce type d’écrit, au motif qu’il est socialement plus discriminant que de simples « tests », ne fait que masquer l’inégalité sans résoudre le problème ; l’injustice serait seulement déplacée au moment des études supérieures ou dans la vie sociale et civique.
Comme j’ai déjà donné un exemple du type de questions posées à l’examen national (cf. « Partie III. L’entretien »), il ne m’a pas paru utile de traduire de nouveaux exemples. Pour la session 2022 de l’examen de philosophie, voir :
- Examen national de philosophie, 1ère session, 2022 (en portugais)
- Critères d’évaluation pour le classement, 1ère session, 2022 (en portugais)
Ces documents sont suffisamment clairs, même pour les non-lusophones, pour comprendre la nature et l’esprit de l’épreuve (si un de nos lecteur souhaite nous faire parvenir la traduction de ces documents, nous la publierons avec plaisir).
3. DES ÉPREUVES DE PLUS EN PLUS DISCUTÉES
« Même l’examen national de philosophie n’échappe pas à l’empire du choix multiple » [1]
La Société portugaise de philosophie juge « regrettable » la « survalorisation » des questions à choix multiples (QCM) à l’examen national « par rapport aux questions exigeant un développement et une prise de position argumentés » compte-tenu la « centralité de l’argumentation » et de la « spécificité » de la philosophie. Elle observe que « certaines questions à choix multiples peuvent être sujettes à plusieurs interprétations légitimes », de telle sorte que « les critères d’évaluation notation » peuvent être erronés le Público du 28 juin 2022).
Alexandre Franco de Sá, « Repenser la philosophie dans l’enseignement secondaire » [2]
Pour Alexandre Franco de Sá, professeur au département de philosophie de l’université de Coimbra, le problème soulevé par les critiques de l’examen national ne se réduit pas à la question du poids des QCM ni à la plus ou moindre grande pertinence de formulation d’un QCM :
– « Il est clair qu’il faut s’interroger sur un système éducatif dans lequel on trouve naturel que la culture humaniste, historique et littéraire ait été réduite à un point tel que, à la fin du secondaire, la rédaction d’une dissertation est désormais une tâche trop complexe pour beaucoup d’élèves évalués. Les questions à réponse longue ont peu de poids relatif dans les examens : elles servent seulement à distinguer les excellents élèves, qui parviennent à les faire, des élèves moyens. »
– « Le problème essentiel de l’examen de philosophie ne réside pas tant dans sa structure que dans le fait qu’il est le véhicule d’une compréhension très limitée et médiocre de ce qu’est la philosophie. »
Pour faire comprendre le problème Alexandre Franco de Sá donne l’exemple d’un item de l’examen national de philosophie.
1. Dans lequel des énoncés suivants un problème philosophique est-il formulé ? (A) Pourquoi les gens se suicident-ils ? (B) Existe-t-il des règles morales absolues ? (C) Y aura-t-il des êtres extraterrestres intelligents ? (D) La philosophie de Kant a-t-elle été influencée par son éducation religieuse ? |
Il allait de soi pour l’auteur du sujet que la réponse attendue était la (B), « existe-t-il des règles morales absolues ? », les autres étant considérées comme fausses, y compris la (A) « Pourquoi les gens se suicident-ils ? ». « Allait de soi » ? Pas vraiment. Alexandre Franco de Sá remarque en premier lieu que l’auteur du QCM ignorait probablement que Le mythe de Sisyphe d’Albert Camus commence ainsi : « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide ».
(Je donne la suite immédiate de ce célèbre texte pour le simple plaisir)
Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. Le reste, si le monde a trois dimensions, si l’esprit a neuf ou douze catégories, vient ensuite. Ce sont des jeux ; il faut d’abord répondre. Et s’il est vrai, comme le veut Nietzsche, qu’un philosophe, pour être estimable, doive prêcher d’exemple, on saisit l’importance de cette réponse puisqu’elle va précéder le geste définitif. Ce sont là des évidences sensibles au cœur, mais qu’il faut approfondir pour les rendre claires à l’esprit.Si je me demande à quoi juger que telle question est plus pressante que telle autre, je réponds que c’est aux actions qu’elle engage. Je n’ai jamais vu personne mourir pour l’argument ontologique. Galilée, qui tenait une vérité scientifique d’importance, l’abjura le plus aisément du monde dès qu’elle mit sa vie en péril. Dans un certain sens, il fit bien. Cette vérité ne valait pas le bûcher. Qui de la terre ou du soleil tourne autour de l’autre, cela est profondément indifférent. Pour tout dire, c’est une question futile. En revanche, je vois que beaucoup de gens meurent parce qu’ils estiment que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue. J’en vois d’autres qui se font paradoxalement tuer pour les idées ou les illusions qui leur donnent une raison de vivre (ce, qu’on appelle une raison de vivre est en même temps une excellente raison de mourir). Je juge donc que le sens de la vie est la plus pressante des questions. Comment y répondre ? Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe. |
Le problème n’est évidemment pas que l’auteur du QCM ignore ce texte mais une conception de la philosophie qui fait écarter sans hésitation la question « pourquoi les gens se suicident-ils ? » comme non-philosophique tandis (Camus rappelait qu’elle n’appartient pas qu’aux sociologues). En effet, « pourquoi, poursuit Alexandre Franco de Sá, […] la question posée par Camus au début de son livre ne serait-elle pas philosophique ? Parce que, selon l’auteur de la question de l’Examen, la philosophie devrait se réduire à la formulation de ’thèses’ discutées à l’aide d’arguments et d’exercices de logique formelle. ». À ce compte, nombre d’œuvres et d’auteurs ou devraient être rayés de l’enseignement ; pour la France et en s’en tenant à la liste officielle, probablement les présocratiques, Zhuangzi, Lucrèce, Nāgārjuna, Plotin, Augustin, Pascal, Schopenhauer, Nietzsche, Kierkegaard, Benjamin, Levinas, Ricoeur. Il y a bien un problème de fond.
Ce qu’Alexandre Franco de Sá critique est cette compréhension étroite et sectaire de la philosophie dans laquelle « les grands philosophes ne peuvent être évoqués qu’en tant qu’illustrations de "thèses", auxquelles on peut opposer des positions "pures" qui, pour leur compréhension, ne nécessitent pas de référence à leur contexte herméneutique » et pour laquelle « la pensée philosophique peut se confondre avec la formalisation argumentative, sans qu’il soit question, par exemple, d’herméneutique ou d’histoire des concepts ».
Enfin, Alexandre Franco de Sá souligne les effets négatifs de ce type d’examen aujourd’hui généralisé : la « canalisation des pratiques d’enseignement », orientées « presque exclusivement vers la préparation des examens » ; la « survalorisation des exercices de logique formelle » au motif qu’ils sont « plus faciles à évaluer de l’extérieur » ; la croyance inculquée aux élèves que « la philosophie se réduit à la formulation d’arguments sous l’égide de la formalisation » ; une culture philosophique « réduite à l’étiquetage des "thèses" : "libertarianisme", "conséquentialisme", "déterminisme modéré" ou "déterminisme radical" et autres ’ismes" similaires », sorte de doxographie améliorée, tendance renforcée par les manuels scolaires qui intègrent « le nouveau langage » et une « définition des apprentissages essentiels en philosophie » qui « reproduit et renforce le processus, ne mentionnant des auteurs rares que pour illustrer ces "ismes" ».
D’où la conclusion d’Alexandre Franco de Sá : « s’interroger sur la qualité de l’épreuve de philosophie peut au moins avoir le mérite de [permettre de] de la repenser. Mais il faut la repenser en ayant conscience que l’Examen n’est pas une fin mais un moyen, que ses implications dépassent sa forme et que c’est le sens même de la philosophie dans l’enseignement secondaire qu’il devient aujourd’hui urgent de défendre et de redéfinir. »
En 2021, Elisabete Jesus, professeure d’histoire, avait déjà critiqué l’inadéquation des QCM en histoire dans un article intitulé « Sélectionner la bonne réponse. Et quand il y en a plus d’une ? » [3], paru dans le Publico du 12 juillet ; inadéquation qui conduisait à refuser, dans l’un des items, une réponse parfaitement valable. Il s’agissait en l’occurrence d’interpréter le sens d’une photo prise à Berlin de 1931, la consigne demandant aux élèves « d’identifier les informations exprimées dans les documents présentés » et de « mobiliser des connaissances sur les réalités historiques étudiées pour analyser les documents ».
L’arrivée au pouvoir, dans plusieurs pays européens, de mouvements politiques autoritaires a créé des situations comme celle représentée sur l’image C du document 1, qui témoigne : (A) de la suppression des libertés individuelles. (B) de l’exercice du culte de la violence physique. (C) de la discrimination contre les groupes ethniques minoritaires. (D) du contrôle et de la censure des activités culturelles. |
La photo montre deux policiers allemands en faction devant un établissement fermé – rien de plus – et est accompagnée de la légende suivante (ajoutée par le concepteur du sujet) : « Le night-club berlinois Eldorado, fréquenté par des homosexuels, fermée et couvert de propagande ». Pour le concepteur du QCM, la « bonne réponse » ne pouvait donc être que la « C » (« discrimination contre les groupes ethniques minoritaires »).
Sauf que l’interprétation historique de document est une compétence de haut niveau, tout spécialement lorsqu’elle est censée s’appuyer sur la mobilisation de connaissances en histoire (il ne suffit pas de lire une légende, au demeurant équivoque). Un tel document admettait pourtant les deux interprétations, la plus juste étant d’ailleurs la (D), « contrôle et censure des activités culturelles », l’Eldorado étant l’une de ces nombreuses salles de spectacles qui accueillaient un public divers (non un bar gay au sens contemporain pas plus que la représentation qu’en donne le cinéma américain avec Cabaret). Elisabete Jesus fait observer que même « la page Internet, dont l’IAVE a extrait la photo » précisait : « Avant sa fermeture, juste après l’arrivée au pouvoir des nazis en 1933, l’Eldorado était un lieu de rencontre populaire pour les célébrités, les artistes et les touristes. Si certains Allemands considéraient l’Eldorado comme un lieu de liberté d’expression et d’enrichissement culturel, d’autres y voyaient un symbole du déclin culturel et de la décadence de l’Allemagne de Weimar ». CQFD. Les nombreux élèves (oserait-on dire instruits et compétents ?) qui ont choisi cette interprétation – donc la réponse (D) – ont évidemment protesté. Trop tard, l’examen était passé.
Effets de la standardisation et danger de la numérisation croissante des examens nationaux.
Elisabete Jesus revient à la charge dans un article de décembre 2022 : « Les « examens à croix » [QCM] sont là pour durer » [4]. Elle s’y inquiète du poids croissant des QCM et pas seulement en philosophie (mais aussi en géographie, arts, portugais, histoire, etc.).
Pour Elisabete Jesus, l’autorité de contrôle externe « a créé un modèle d’évaluation dans lequel les questions appelant un développement écrit sont de moins en moins nombreuses », ce qui contredit la volonté affichée d’améliorer l’apprentissage dans ce domaine. Les « effets s’en font déjà sentir dans les performances au niveau de l’enseignement supérieur et même sur le marché du travail ».
Comme Alexandre de Sá, elle souligne l’effet de standardisation négative produit par l’examen sur les exercices et outils d’évaluation utilisés quant à eux pendant l’année, ajoutant que les enseignants ayant « une dizaine de classes ou plus » - comme les professeurs d’histoire et de philosophie – sont tentés d’adopter ce type de tests pour réussir à corriger et évaluer en temps voulu.
Le phénomène de diffusion est accéléré par « le processus de numérisation de l’éducation » qui s’accommode mal des spécificités disciplinaires. Les « questions à réponse ouverte restent aujourd’hui l’une des limites des plateformes numériques, en raison de l’impossibilité de créer des scénarios de réponse sans ambiguïté ».
Dans ce contexte, la récente annonce que les examens et outils d’évaluation seraient désormais fournis « sous une modalité entièrement numérique » a d’abord suscité l’incrédulité puis l’inquiétude.
L’autrice en tire une conclusion pessimiste : « les "cross exams" à l’américaine » ont tellement « colonisé les instruments d’évaluation externe » (c’est-à-dire nationaux) « que nous pouvons dire que les "examens à croix" sont là pour durer ».
4. EN CLASSE : UNE ÉVALUATION INTÉGRANT PLUSIEURS TYPES D’EXERCICES.
Le développement des compétences liées aux Apprentissage Essentiels [AE] exige logiquement de faire varier les modes d’évaluation en fonction des objectifs visés. Le cadre institutionnel portugais invite expressément les professeurs à faire preuve d’inventivité et de créativité en matière d’exercices, les nombreuses activités d’élèves suggérées par les programmes au titre des stratégies didactiques pouvant aussi servir à évaluer leur travail.
En France le cadre traditionnel, la formation et le recrutement des professeurs pèse dans le sens contraire. Pour une majorité d’acteurs, la dissertation et le commentaire sont les seuls exercices vraiment « philosophiques » qui puissent être proposés dans un cadre scolaire. La formation et la recherche en didactique ne sont pas prises au sérieux. L’ethos et l’habitus des professeurs reposent sur le refus du scolaire. L’imagination didactique et pédagogique est par avance fermée ; les professeurs qui innovent le font contre les habitudes corporatistes.
Les programmes contiennent déjà de nombreuses indications : réalisation d’un dictionnaire philosophique au format analogique ou numérique (ENT), analyse critique de textes d’opinions et/ou d’articles de presse, joutes argumentatives, réalisation de schémas de synthèse, résolution de problèmes éthiques, politiques, etc.
Sur 27 documents cadres de planification annuelle des enseignements que j’ai consultés, un très petit nombre indique des instruments possibles pour l’évaluation, des critères d’évaluation et plus rarement encore leur pondération.
Un seul établissement semble prescrire des tests à la manière de l’examen national (exemple ci-dessous).
On ne sait pas ce qu’il en est des établissement (la majorité) qui n’indiquent rien dans leur document cadre. L’autonomie des établissements laisse supposer que ces modalités sont décidées, sinon par les professeurs en charge des enseignements, au moins avec eux, mais on peut raisonnablement le supposer.
Je rassemble dans le tableau ci-dessous les indications plus ou moins précises relatives aux « instruments d’évaluation » rencontrées dans ces documents.
Un document indique les modalités d’évaluation utilisées, avec leur pondération sur l’année. Il comprend des critères relatifs à l’attitude des élèves au regard de leurs obligations (« les instruments d’évaluation complémentaires »). Les « instruments de base » de l’évaluation comptant pour 80% de la note finale de la discipline à chaque période ; le cadre précise le mode de calcul de l’évaluation pour la notation qui détermine le classement final.
Autre exemple.
L’un des documents précise les critères d’évaluation transversaux aux apprentissages, et très brièvement les critères supposés spécifiques à la philosophie et leur pondération :
Dans les documents étudiés, on remarque souvent des variations, mais on retrouve plus ou moins les mêmes items.
Un dernier document pour illustrer la variété des présentations.
Intérêt et limites de ces documents
Ces documents sont-ils représentatifs ? Je ne sais pas. Seule une enquête quantitative permettrait de le dire. En revanche, l’ensemble (Profil des élèves, Programmes, Évaluation, etc.) montre assez dans quel esprit se fait l’enseignement de la philosophie au Portugal. Et notamment l’attention portée à l’équilibre entre logique d’enseignement et logique d’apprentissage, dont témoigne l’accent mis sur les nombreuses activités à proposer aux élèves (dans l’édition scolaire, des « carnets d’activités » accompagnent souvent les manuels).
Ils soulèvent aussi des questions : faut-il intégrer, dans l’évaluation disciplinaire, des compétences transversales renvoyant à des attitudes scolaires ou des compétences sociales plus générales ? A l’inverse n’est-il pas inepte de prétendre les évaluer ailleurs que dans un contexte disciplinaire, où elles acquièrent alors un sens et un contenu précis ? Et les concepts employés ne sont pas forcément clairs : l’idée qu’on peut et doit évaluer des « compétences » est un lieu commun, cela peut s’entendre, comme peut aussi s’entendre l’objection qui veut qu’on n’évalue jamais des compétences, seulement des performances et dans un contexte donné.
Ces débats, légitimes, ne doivent pas occulter ici des faits qui méritent réflexion.
Par exemple, que vaut – pédagogiquement et politiquement - un enseignement où la part des exercices ou activités des élèves est réduite et principalement réservée au travail hors la classe ? Que vaut un enseignement qui exige que les élèves sachent définir une pseudo-généralisation ou distinguer fait et droit, mais ne pense même pas à proposer des activités sollicitant et mobilisant explicitement ces savoirs ? Qu’est-ce que s’approprier un savoir ? Comment devient-il opératoire ?
Autre exemple : en France nous n’évaluons pas une compétence comme la capacité à « collaborer avec d’autres » (disons le niveau 1), à « coopérer » avec eux (disons le niveau 2), à partager et à s’entraider (niveau 3).
Nous sommes méfiants vis-à-vis de ce genre d’évaluation et nous avons peut-être raison de l’être. Mais quand les élèves savent qu’ils seront aussi évalués sur leur compétence à collaborer, coopérer, partager et s’entraider, est-ce que cela ne change pas le sens et l’effet de l’éducation qu’ils reçoivent ? Et quelle incidence sur les exercices scolaires ? Pensons à la réalisation collective d’un dictionnaire ou d’un lexique de philosophie (en rapport avec les thèmes ou un auteur étudié), à des recherches et enquêtes philosophiques dont les résultats devront ensuite être évalués, analysés, synthétisés puis ordonnés et hiérarchisés avant d’être restitués et partagés collectivement ? Le simple fait d’intégrer ces compétences oblige à repenser les exercices et les activités, à en concevoir de nouveaux qui pourront être intégrés au cours et à l’évaluation.
Est-ce sans pertinence ni intérêt ?
[1] Clara Viana, « Nem o exame nacional de Filosofia escapa ao império da escolha múltipla », Público, 28 juin 2022.
[2] Alexandre Franco de Sá, « Repensar a Filosofia no Ensino Secundário », Observador, 16 novembre 2022
[3] Elisabete Jesus, « Selecione a opção correta. E quando há mais que uma ? », Público, 12 juillet 2021.
[4] Elisabete Jesus, « Os “exames de cruzinhas” vieram para ficar », Publico, 18 décembre 2022.