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La philosophie dans l’enseignement secondaire au Portugal (2)

II. Les programmes de philosophie

mercredi 3 mai 2023, par Serge Cospérec

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II. LES PROGRAMMES DE PHILOSOPHIE

1. APERÇU DES CONTENUS - Exemple du programme de la 10e ANNÉE (classe de Seconde)

AVERTISSEMENT : l’aperçu ci-dessous satisfera un lecteur français habitué à lire des programmes où seuls importent l’énoncé des thèmes et connaissances à étudier à la façon de la « table des matières » d’un livre. Mais disons-le tout net : le lecteur pressé qui s’arrêterait à l’aperçu n’aurait aucune chance de comprendre ce qu’est l’enseignement de la philosophie au Portugal. Pour éviter ces lectures fausses, je ne donnerai pas d’aperçu pour la 11e et 12e année. Je reviendrai sur cette question en présentant « l’économie générale » des programmes.
Je donnerai en revanche une traduction de l’intégralité des programmes de 10e, 11e et 12e qui respecte leur forme originale (la traduction étant mienne… ses erreurs le seront aussi !).

MODULE I. APPROCHE INTRODUCTIVE DE LA PHILOSOPHIE ET DU PHILOSOPHER

Qu’est-ce que la philosophie ?
Les questions de philosophie

Rationalité argumentative de la philosophie et dimension discursive du travail philosophique
Thèse, argumentation, validité, vérité et solidité
Carré logique des oppositions
Formes d’inférence valide
Principaux sophismes formels
Le discours argumentatif et les principaux types d’arguments et de sophismes informels

MODULE II. L’ACTION HUMAINE ET LES VALEURS L’action humaine - analyse et compréhension de l’action Déterminisme et liberté dans l’action humaine [Métaphysique] La dimension éthico-politique - analyse et compréhension de l’expérience du vivre ensemble [Éthique] La dimension personnelle et sociale de l’éthique La nécessité d’un fondement moral - analyse comparative de deux perspectives philosophiques Le problème du critère éthique de la moralité d’une action :
 L’éthique déontologique de Kant
 L’éthique utilitariste de Mill

Éthique, droit et politique - liberté et justice sociale ; égalité et différences ; justice et équité [Philosophie politique].
Le problème de l’organisation d’une société juste :
La théorie de la justice de John Rawls

MODULE III. THÈMES / PROBLÈMES DU MONDE CONTEMPORAIN Développement d’un des thèmes suivants :
  1. L’éradication de la pauvreté
  2. Le statut moral des animaux
  3. La responsabilité environnementale
  4. Les problèmes éthiques liés à l’interruption de la vie humaine
  5. Le fondements éthiques et politiques des droits humains universels
  6. La guerre et la paix
  7. L’égalité et la discrimination
  8. La citoyenneté et la participation politique
  9. Les frontières entre le public et le privé
  10. Autres thèmes



2. PRÉSENTATION DES PROGRAMMES

L’aperçu précédent est trompeur parce qu’il fait abstraction des précisions didactiques et exemples d’activités qui conditionnent la mise en œuvre bien comprise des élèves. Il fait également abstraction de la « philosophie » des programmes que l’on pourrait résumer sommairement par cette citation de Catarina Vaz Pinto [1] « les systèmes éducatifs ont été modifiés et sont passés des paradigmes centrés exclusivement sur la connaissance à des modèles qui visent le développement de nouvelles compétences — mobilisatrices de connaissances, de capacités et d’aptitudes  ».

Le propos peut paraître banal et nous connaissons les débats au sujet de ces orientations. Sauf que s’agissant du Portugal il ne s’agit pas d’une vague déclaration d’intention ; le changement de « paradigme » est bel et bien entré dans les faits. En effet, depuis 2018, tous les programmes ont été revus et réécrit en référence au Profil des élèves à la sortie de la scolarité obligatoire (j’y reviendrai). Ce cadre impose en particulier de spécifier pour chaque partie du programme les compétences attendues et stratégies d’acquisition, éléments qui étaient plus ou moins présents dans les anciens programmes mais pas formalisés ni organisés de manière aussi systématique. Ce qui change substantiellement la manière de comprendre les programmes. Les compétences et activités permettant de les acquérir deviennent le centre de gravité ou au moins aussi centrales que les connaissances. Bref, le texte complet des programmes est aussi son mode d’emploi.

Illustrons ce point avec des extraits du programme de la 10e année.

Extrait 1 (module 1).

CONNAISSANCES, APTITUDES ET ATTITUDES
L’élève doit être capable de :
ACTIONS STRATÉGIQUES D’ENSEIGNEMENT
Thèse, argumentation, validité, vérité et solidité Carré logique des oppositions
  • Expliquer les concepts de thèse, d’argumentation, de validité, de vérité et de solidité.
  • Opérationnaliser les concepts de thèse, d’argument, de validité, de vérité et de solidité, en les utilisant comme instruments critiques de la philosophie.
  • Appliquer le carré des oppositions à la négation de thèses.

Formulation par les élèves, individuellement ou en coopération, de thèses exprimées en propositions quantifiées, conditionnelles, conjonctives et disjonctives et leur négation, quand c’est possible, dans une communication orale directe ou par des moyens numériques.

Formes d’inférence valide
  • Expliquer en quoi consistent les connecteurs propositionnels de conjonction, disjonction (inclusive et exclusive), conditionnel, biconditionnel et de négation.
  • Appliquer les tables de vérité dans la validation des formes argumentatives.
  • Appliquer les règles d’inférence du Modus Ponens, du Modus Tollens, du syllogisme hypothétique, des lois de De Morgan, de la double négation, de la contraposition et du syllogisme disjonctif pour valider des arguments.

Réalisation, en binôme ou en groupe, d’un texte argumentatif solide sur des thèmes pertinents de la vie quotidienne, en utilisant des formes propositionnelles et des formes valides d’arguments formels étudiés (éventuellement en lien avec les Mathématiques et/ou le domaine de la Citoyenneté et du Développement).

Principaux sophismes formels
  • Identifier et justifier les sophismes formels consistant à affirmer le conséquent et à nier l’antécédent.

Compétition entre groupes, dans la classe ou interclasse, sous forme d’un tournoi de construction d’arguments avec les formes argumentatives valables étudiées.

Le discours argumentatif et les principaux types d’arguments et de sophismes informels
  • Clarifier les notions d’argument non déductif, par induction, par analogie et par autorité.
  • Construire des arguments par induction, par analogie et par autorité.
  • Identifier et justifier les sophismes informels de la généralisation hâtive, de l’échantillon non représentatif, de la fausse analogie, de l’appel à l’autorité, de la pétition de principe, du faux dilemme, de la fausse relation causale, de l’ad hominem, de l’ad populum, de l’appel à l’ignorance, de l’homme de paille et de la pente fatale.
  • Utiliser consciemment différents types d’arguments formels et non formels dans l’analyse critique de la pensée philosophique et dans l’expression de leur propre pensée.
  • Appliquer la connaissance des différents sophismes formels et non formels pour vérifier la structure et la qualité argumentatives de différentes formes de communication.

Identification, par paires ou en petits groupes, des arguments non formels et des erreurs formelles et non formelles dans les articles d’opinion des publications périodiques numériques et les boîtes de commentaires respectives (directement dans la publication ou dans les moyens de diffusion via les réseaux sociaux) ou dans tout support d’informations.


Extrait 2 (module 2).

CONNAISSANCES, APTITUDES ET ATTITUDES
L’élève doit être capable de :
ACTIONS STRATÉGIQUES D’ENSEIGNEMENT
La nécessité d’un fondement moral - analyse comparative de deux perspectives philosophiques. Le problème du critère éthique de la moralité d’une action :
  • L’éthique déontologique de Kant
    • Le devoir et la loi morale ;
    • La bonne volonté
    • Maxime, impératif hypothétique et impératif catégorique ; Hétéronomie et autonomie de la volonté ;
    • Agir conformément au devoir et agir par devoir ;
    • Critique de l’éthique de Kant.
  • L’éthique utilitariste de Mill
    • Intention et conséquences ; le principe d’utilité ;
    • Le bonheur ; les plaisirs inférieurs et les plaisirs supérieurs ;
    • L’inexistence de règles morales absolues
    • Critique de l’éthique de Mill.
  • Clarifier la nécessité d’un fondement de l’action morale.
  • Exposer le problème éthique de la moralité d’une action.
  • Clarifier les concepts centraux, les thèses et les arguments des éthiques de Kant et de Mill.
  • Discuter de manière critique de l’éthique de Kant et de Mill.
  • Mobiliser les connaissances acquises pour analyser de manière critique ou proposer des solutions aux problèmes éthiques qui peuvent se poser dans la réalité, en croisant la perspective éthique avec d’autres domaines de connaissance.

Identification par les élèves à partir d’une situation quotidienne ou pertinente à l’heure actuelle, des raisons morales d’accepter ou de rejeter une action.

Présentation aux élèves de situations réelles / pertinentes à l’heure actuelle et éthiquement problématiques, leur demander de décider d’une action et de déduire un principe éthique universel de l’action choisie.

Réduction, par les élèves, de l’argumentation des auteurs à des formes valides d’inférence et analyse de leur validité et de leur solidité.

Réalisation par les élèves d’un tableau comparatif des deux éthiques, en leur demandant d’établir d’abord les critères de comparaison dans le cadre d’un travail collaboratif.

Demander aux élèves de résoudre des problèmes éthiques réels résultant de l’application de connaissances issues de domaines scientifiques (biologie, économie, physique, etc.) du point de vue de l’éthique de Mill ou de l’éthique de Kant, avec une discussion critique des résultats obtenus, par des moyens analogiques ou numériques


Extrait 3 (module 2)

CONNAISSANCES, APTITUDES ET ATTITUDES
L’élève doit être capable de :
ACTIONS STRATÉGIQUES D’ENSEIGNEMENT
Le problème de l’organisation d’une société juste : La théorie de la justice de John Rawls
  • La position originelle et le voile d’ignorance
  • La justice comme équité
  • Les principes de justice
  • La règle du maximin ; le contractualisme et le rejet de l’utilitarisme ;
  • Les critiques communautariennes (Michael Sandel) et libertariennes (Robert Nozick) de Rawls.

Formuler le problème de l’organisation d’une société juste, en justifiant son importance philosophique.

Clarifier les concepts, thèses et arguments centraux de la théorie de la justice de Rawls.

Confronter la théorie de la justice de Rawls aux critiques adressées par le communautarisme (Michael Sandel) et le libertarianisme (Robert Nozick).

Appliquer les connaissances acquises afin de discuter des problèmes politiques des sociétés actuelles et présenter des solutions, en croisant la perspective philosophique avec d’autres perspectives

Identification par les élèves, à un niveau global ou local (en utilisant des supports numériques et en s’assurant éventuellement de la fiabilité et de la qualité des sources) de situations qui configurent une organisation sociale injuste, avec clarification éventuelle des raisons sous-jacentes (répartition des richesses, accès à l’éducation, aux soins de santé de base...).

Placer les élèves en position originelle pour l’exposé des principes de justice, afin de les faire discuter oralement sur la confrontation des principes Exposés, les conséquences de leur application et les conditions établies par Rawls concernant la position originelle et le voile d’ignorance.

Confrontation à l’orale orale entre élèves (et/ou discussion dans un essai) de thèses et d’arguments à l’appui de leur position sur le problème de l’organisation d’une société juste.

Les élèves jouent le rôle de décideurs politiques et, face à un problème global ou local, prennent une décision basée sur l’une des positions concernant le problème de l’organisation d’une société juste.

Discussion critique par les élèves des théories (par exemple, celles étudiées en histoire A ou en Économie) à la lumière des thèses et des arguments étudiés.



La structure des programmes comprend 4 éléments présentés en 4 colonnes.

Pour découvrir et comprendre l’architecture des programmes : télécharger l’extrait du Programme de 10e année

La 1ère colonne (« ORGANISATEUR ») indique les « MODULES » enseignés pendant l’année. L’énoncé des modules précise le domaine philosophique abordé. Par exemple, le module s’intitule « L’ACTION HUMAINE ET LES VALEURS » et comprend 3 parties 1) « L’action humaine - analyse et compréhension de l’action » [Métaphysique] ; 2) La dimension éthico-politique - analyse et compréhension de l’expérience du vivre ensemble [Éthique] ; 3) Éthique, droit et politique - liberté et justice sociale ; égalité et différences ; justice et équité [Philosophie politique].

La 2ème colonne (« CONNAISSANCES, APTITUDES ET ATTITUDES ») indique les thèmes étudiés et les compétences attendues à l’issue de l’étude (l’élève devra savoir distinguer, etc…). Elle définit les Apprentissages Essentiels (AE) de telle ou telle partie du programme.

La 3ème colonne (« ACTIONS STRATÉGIQUES D’ENSEIGNEMENT ORIENTÉES VERS LE PROFIL DES ÉLÈVES ») définit des activités d’apprentissage – en rapport avec le contenu disciplinaire – qui permettent de cultiver les compétences définies dans le Profil des élèves. (Réalisation par les élèves d’un tableau comparatif des deux éthiques, etc.)

La 4ème colonne (« DESCRIPTEURS DU PROFIL DES ÉLÈVES ») indique les compétences que la partie du programme développe spécifiquement (c’est très formel).



3. LE PROFIL DES ÉLÈVES À LA SORTIE DE LA SCOLARITÉ OBLIGATOIRE

Le Profil des élèves à la sortie de la scolarité obligatoire [2] est au cœur de la réforme éducative engagée en 2018. La lecture de ce document peut susciter deux réactions opposées : l’ennui et l’agacement que provoquent les textes prétendant définir « l’éducation du XXIe siècle » - textes oraculaires, pétris de bonnes intentions et de moins claires, mêlant grandes déclarations de principes et banalités, valeurs incontestables et idéologie, etc. ; ou, à l’inverse l’intérêt réel et urgent de tous ceux qui estiment nécessaire de repenser l’éducation scolaire et les missions fondamentales de l’école.

Je me bornerai ici à une simple présentation de ce texte et des déclarations du Ministère de l’éducation portugais à ce sujet.

Le Profil des élèves est le document de référence pour la réécriture des programmes de la scolarité obligatoire. Il se veut « moins normatif » et « plus d’orientation » que les textes-cadres antérieurs, porté par le souci de rendre l’enseignement plus efficace et réellement qualifiant pour tous les élèves plutôt en identifiant clairement les Apprentissages Essentiels (AE) de « l’enseignement de base » et de « l’enseignement secondaire » (« Aprendizagens essenciais » ; « Essential Learning » en contexte anglo-saxon), en opposition explicite aux pratiques antérieures consistant à écrire des programmes « de nature encyclopédique ».

Le Profil des élèves se fonde donc sur l’idée que le quantitatif (« l’encyclopédique ») s’oppose au qualitatif et à l’efficacité de l’école. Les Apprentissages Essentiels (AE) ne sont pas un « smic culturel » ; ils sont caractérisés « (a) par la richesse et la solidité des contenus - indispensables à la construction significative des connaissances propres à chaque discipline - et (b) par la richesse des processus cognitifs à développer chez les élèves pour qu’ils acquièrent ces connaissances » [3].

Enfin, l’importance accordée aux AE est justifiée par deux considérations étroitement liées :
- une justification pédagogique : la logique d’accumulation encyclopédique conduit à des programmes surchargés dont la conséquence est que les élèves ne maîtrisent pas les notions essentielles ; en changeant d’orientation et se concentrant sur les AE « le ’moins’ (rupture avec le mode quantitatif-encyclopédique) devient un ’plus’ (gains qualitatifs de solidité, d’utilisation et d’approfondissement des connaissances) » .
- une justification politique : les AE correspondent « à ce qui doit / peut être appris par TOUS » parce que c’est « socialement nécessaire pour tous et exigé par la société elle-même » et non pas à ce qu’un petit nombre seulement pourrait acquérir « en naturalisant l’exclusion des autres » ; ce qui exige qu’on « a) abandonne le spontanéisme fataliste d’une théorie du don subtilement combinée à celle du déterminisme social, implicite dans de nombreuses politiques et des pratiques qui sont ici rejetées comme inacceptables dans un cadre démocratique ».

Télécharger le Profil des élèves à la sortie de la scolarité obligatoire (traduction française)

Conséquences pour les programmes

Le Profil des élèves exige qu’à tous les niveaux de la scolarité obligatoire, chaque discipline

  • mette en évidence sa contribution à la construction du profil de l’élève
  • identifie et clarifie les apprentissages essentiels qui lui sont spécifiques
  • intègre « les connaissances, aptitudes et attitudes » visées en accord avec le Profil des élèves.
  • les résultats attendus et niveaux de progression ;
  • précise les compétences et attitudes que les élèves doivent développer pour les différents contenus et situations d’enseignement et d’apprentissage ;
  • intègre des conseils sur stratégies d’enseignement permettant d’atteindre les objectifs en relatifs aux apprentissages essentiels.

Télécharger la déclinaison pour la Philosophie du Profil des élèves (traduction française)

Télécharger l’intégralité des programmes portugais de philosophie (10e à 12e année) [traduction française]


Cursus de référence et flexibilité curriculaire

L’horaire de référence pour l’enseignement obligatoire de philosophie (cf. Partie I) est de 150mn hebdomadaire en 10e année (Seconde) comme en 11e (Première) ainsi que pour la Philosophie en option de 12e année (Terminale).
La « flexibilité curriculaire » octroyée aux établissements pour leur autonomie dans le cadre de leur autonomie, se traduit par certaine latitude dans l’organisation, la planification annuelle et le nombre de séances.

Par exemple, l’année 2019-2020, au lycée de Paredes (« Escola Secundária de Paredes ») la Philosophie, La LV1 (anglais) et l’EPS bénéficiaient de 180mn hebdomadaire (3h), soit + 30mn par semaine et le Portugais +20mn mais seulement en 12° année. Mais dans le plan 2022-2023, l’horaire revient à 150 mn, tandis que le Portugais voit un renforcement (+20 mn par semaine) sur les 3 années.

L’étude de 18 établissements [4] montre que le temps d’enseignement sont globalement les mêmes malgré les variations (mais qui peuvent être significatives quand on compare certains établissements).

La principale différence concerne la durée des séances. Dans mon échantillon la durée des séances de philosophie était  :

  • de 45 mn dans la majorité des établissements
  • de 90 mn dans quelques cas
  • de 50 mn plus rarement
  • un établissement annonçait des séances de 45 mn ou 90 mn, sans autre précision.

D’une année sur l’autre, le nombre total de séances peut aussi varier en fonction des jours fériés et du découpage des périodes. Les variations observées selon le choix des établissements, mais aussi du fait des fluctuations des périodes de cours selon les années, sont les suivantes :

  • 120 à 130 séances de 45 mn
  • 55 à 67 séances de 90 mn
  • 80 à 100 séances de 50 mn ;


Exemples de répartition par période (elles sont identiques pour les 10° et 11° dans un même établissement) :

Année 2020-2021 - Groupe Scolaire « PEDRO ÁLVARES CABRAL – BELMONTE »

  • Période 1 : 17/09-18/12 ; 52 séances de 45mn
  • Période 2 : 04/01-24/04 ; 44 séances de 45mn
  • Période 3 : 14/04-04/06 ; 34 séances de 45mn

Année 2022-2023 Groupe Scolaire « ESCOLA SECUNDÁRIA JÚLIO DANTAS », Lagos.

  • Période 1 : 16/09-16/12 ; 50 séances de 45mn (13 semaines)
  • Période 2 : 03/01-31/03 ; 44 séances de 45mn (13 semaines)
  • Période 3 : 17/04-7/06 ; 30 séances de 45mn (8 semaines)

Exemples de Planification annuelle à télécharger



4. PROGRAMMES PORTUGAIS ET « EXCEPTION FRANÇAISE »

1° L’âge de philosopher
Les professeurs de philosophie du Portugal jugent qu’il est tout à fait possible d’enseigner la philosophie à des jeunes âgés de 15 à 16 ans ; tout comme ceux d’Espagne, d’Italie ou du Royaume-Uni. La variété des stratégies d’enseignement (cf. les programmes) et des modalités d’évaluation possibles explique peut-être cela.
En France, la maturation des esprits est, semble-t-il, plus longue.
À moins que ce ne soit l’idée quelque peu héroïque que nous nous faisons de l’enseignement de la philosophie, de ses exercices et des élèves qu’il mérite (l’élève idéal étant le candidat au Concours Général et futur élève de Classes Préparatoire) qui soit inadéquate aux élèves du lycée démocratique.

2° Des choix programmatiques clairs [5]
La délimitation claire de thèmes d’étude, et même une certaine précision des contenus n’est pas davantage considérée comme attentatoire à « la liberté du professeur ». C’est semble-t-il une évidence qu’une école démocratique se soucie d’indiquer explicitement ce qui doit être enseigné, acquis et connu. En France, qui peut dire ce qu’a appris un élève au bout d’un an de philosophie ?
Mais surtout, la liberté manque-t-elle ? C’est entendu, les programmes fixent les « apprentissages Essentiels » (connaissances, aptitudes et attitudes). Mais, à côté de cela, l’horaire est confortable et les programmes autorisent explicitement une si grande variété d’exercices, de pratiques, et de modalités d’évaluation que les professeurs disposent d’un choix considérable pour imaginer les parcours et moyens d’études ce qu’ils offriront aux élèves. Par exemple, si je suis convaincu que le cinéma est l’un des moyens possibles d’aborder certains sujets, je pourrais librement décider d’intégrer dans mes modalités d’évaluation un travail sur un film (relatório de Filme). Bien entendu, ce ne sera pas le seul exercice, et j’aurais à décider du poids respectifs des exercices servant à l’évaluation (cf. Partie IV. L’examen national, ses épreuves et l’évaluation).

3° Progressivité et récursivité des apprentissages
Au Portugal – comme ailleurs encore une fois – les professeurs de philosophie jugent que la philosophie n’a pas à être ni ne peut être enseignée d’un seul coup en une année. Pour eux, il est évident que, comme toute discipline scolaire, il faut du temps et que son apprentissage doit être par conséquente progressif. La progressivité permet, d’une part, d’ordonner contenus et exercices selon une difficulté et une exigence croissantes ; d’autre part, de prévoir la remobilisation des acquis antérieurs. Ainsi, les connaissances et compétences logiques acquises dans le module 1 de la 10e année sont sollicitées et doivent être réinvestis dans les modules ultérieurs ; tout comme celles acquises dans le module 2 (en éthique et politique) de 10e année, sont remobilisées dans le module VII de la 11e année.
En France, point besoin semble-t-il de progressivité, effet heureux d’une maturité tardive ou ineptie pédagogique ?

4° La place de la logique dans l’apprentissage du discours philosophique.
Que l’apprentissage de la logique soit une condition et même une propédeutique du « philosopher », est une évidence ancienne au Portugal et ailleurs. C’était aussi le cas autrefois en France (la classe Rhétorique de 1ère assurait en partie cette fonction et les programmes l’intégrait).
Évidemment, la question « soit, mais quelle logique et jusqu’à quel point ? » n’est philosophiquement, didactiquement et pédagogiquement, pas si simple. Nous y reviendrons. Mais expliquons cette « évidence » que les professeurs de philosophie partagent à peu près partout - sauf en France. Et rappelons que c’était la conviction du créateur de la philosophie pour enfants, Matthew Lipman, dont le premier et plus célèbres roman La découverte de Harry Stottlemeier (trad. Pierre Belaval) avait pour justement but d’initier à la logique des élèves de… 10 à 12 ans.

Mais revenons au secondaire. Je partirai d’une remarque au premier paradoxale de Joaquim Neves Vicente à propos d’une « lamentation que l’on entend souvent parmi les professeurs [portugais] de philosophie » : les élèves ne peuvent apprendre philosophie (ou à philosopher) « parce qu’ils ne connaissent pas le portugais » [6]] [ce n’est donc pas qu’en France qu’on entend cela], à laquelle il répond : « et si on inversait les termes de l’énoncé ? Peut-être que les élèves ne connaissent plus le portugais parce qu’ils ne connaissent plus la philosophie, c’est-à-dire parce qu’ils n’acquièrent pas en philosophie certaines compétences discursives indispensables au travail intellectuel », façon de de souligner le lien entre langage et pensée.
Joaquim N. Vicente soutient que « l’initiation à la logique et à l’argumentation dans l’enseignement secondaire peut être (et doit être) une initiation à la méthodologie de tout travail intellectuel », que c’est, en d’autres termes, un apprentissage structurant pour toutes les disciplines parce que toutes requièrent que les élèves sachent raisonner (lire et écrire) avec rigueur.
Et quelle discipline, demande-t-il, sinon la Philosophie, se charge d’apprendre « à distinguer les différents types de propositions (énoncés factuels ou d’observation, jugements de valeur, énoncés prescriptifs) et d’évaluer les critères respectifs de leur preuve et de leur acceptabilité ? » ; « qui, sinon la philosophie, se charge d’apprendre à analyser et à évaluer un argument c’est-à-dire distinguer les propositions-prémisses des propositions-conclusions, déceler la forme logique de l’argumentation et apprécier sa validité, apprécier la cohérence, la pertinence et la suffisance des prémisses qui étayent effectivement ou non la conclusion ? » ; « à qui va-t-on demander dans l’enseignement secondaire d’apprendre aux élèves à identifier une définition ou un argument circulaire, à corriger un énoncé ambigu, à critiquer une affirmation gratuite ou à démasquer une contradiction cachée ? », etc.
Observations bien utiles quand on réfléchit à l’apport spécifique de la philosophie à la formation générale dans l’enseignement secondaire et à la légitimité de son intervention.

Toutefois et pour en revenir aux programmes portugais, les choix opérés laissent perplexes.

Parmi les difficultés, mentionnons :

  1. l’ampleur, la cohérence et la pertinence d’un programme qui mêle syllogistique, logique propositionnelle, sans vision très claire de l’argumentation en philosophie.
  2. l’adéquation du programme à l’âge des élèves de 10e année et l’adéquation des choix programmatiques aux principe des Apprentissages Essentiels qui sont a) censés privilégier le qualitatif sur le quantitatif ; b) identifier les compétences et savoirs réellement essentiels à un niveau de scolarité donné.
  3. la place excessive, selon moi, de la logique formelle par rapport à la logique informelle qui est justement apparue en réponse à la faible efficacité de la logique formelle pour le développement des compétences logico-critiques de base. Perplexité apparemment partagée par un certain nombre de professeurs portugais de philosophie.

[1Catarina Vaz Pinto a été secrétaire d’État à la culture et sous-ministre de la culture au sein du gouvernement du Portugal et est aujourd’hui Conseillère à la culture de Lisbonne. Son activité politique dans le domaine de la Culture et de l’éducation est reconnue. Son conjoint, António Guterres, est l’ancien Premier ministre du Portugal, actuellement secrétaire général des Nations Unies.

[3Pour cette présentation je m’appuie sur le document de cadrage du Ministère portugais intitulé Para a construção de aprendizagens essenciais baseadas no perfil dos alunos, d’où provient aussi cette citation.

[4J’ai collecté 18 documents de « planification annuelle »( Planificacao anual) de 10e et 11 e année.

[5Avoir de vrais programmes d’enseignement ne date pas de la réforme 2018. Ceux de 2001 était tout aussi précis. Mais je n’oublie pas les tensions créées par les programmes de 2018 dont a parlé Joaquim Neves Vicente, à savoir une définition et des modalités de lecture des programmes bien moins libérales que celles des programmes 2001 du fait d’« analytiques » très assurés de ce qu’est et n’est pas la philosophie, et visiblement très pressés de se débarrasser de la philosophie « continentale ». C’est infiniment regrettable.

[6Cette citation et les suivantes sont extraites de son article « Do primado de uma “logica utens” sobre uma “logica docens” no ensino da filosofia na educação secundária », dans H. Ribeiro, & J. Vicente (Org.), O Lugar da Lógica e da Argumentação no Ensino da Filosofia, Coimbra, Faculdade de Letras, 2010 [En ligne sur le site de l’APF ici