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Poser un problème ou reconnaître un problème ?

Réponse à Antoire Léandri (IPR)

vendredi 19 janvier 2018, par Joël

je propose ici une brève réponse au texte d’Antoine Léandri (ancien inspecteur) dont j’ai reçu le lien en mail.

Cet article est consultable à l’adresse : http://philotextes.info/spip/spip.php?article100

Ce texte porte sur la philo dans le cadre de la future réforme du lycée. Pour aller à l’essentiel, je souhaite seulement relever deux erreurs factuelles et un manque important dans son analyse.

1) A. Léandri affirme que les exercices de dissertation et d’explication de texte (dans leur forme actuelle) demandent à l’élève de « poser des problèmes ». C’est faux, du moins ambigu : ces exercices leur demandent de reconnaître un ou des problème(s) dans une question ou un texte de 15 lignes. Dans certains textes, l’auteur expose un problème avant d’y répondre, et l’élève doit alors comprendre ce problème, mais il le comprend d’autant mieux qu’il le connaît déjà. Dans tous les cas, on ne demande pas à l’élève d’inventer un problème. Et les professeurs eux-mêmes ne font que reconnaître plus vite et mieux, dans une question ou un texte, un ou plusieurs problèmes classiques de philo.

2) A. Léandri affirme aussi que, pour la dissertation et l’explication de texte, ce qui est demandé à l’élève s’apparente au travail des philosophes, en citant Bergson : « Il s’agit, en philosophie et même ailleurs, de trouver le problème et par conséquent de le poser, plus encore que de le résoudre. » J’approuve Bergson évidemment : un philosophe pose des problèmes. Mais aucun des livres de Bergson n’est la réponse à une question de dissertation, ni le commentaire d’un texte de 15 lignes ! C’est tout à fait différent ! Un exercice qui s’apparenterait au travail des philosophes serait de demander à l’élève d’écrire un mémoire sur un sujet de son choix, en expliquant les motifs de son choix, etc. Si le lycée ne propose pas cet exercice aux élèves, c’est probablement parce que les professeurs ont jugé que des élèves qui ignorent tout ou presque de la philo n’en sont pas capables.
Dans la citation de Bergson, il faut prendre garde à l’expression : « et même ailleurs ». Signification : pour Bergson, la philosophie n’a pas l’apanage de la position de problèmes, ni de la création en général, qui concerne aussi la science, la technique, l’action morale, etc. (cf. par ex L’énergie spirituelle, p. 23-25). Seulement, la création concerne les esprits accomplis dans une discipline, non les lycéens. Ainsi, un mathématicien pose des problèmes, mais pas un lycéen en maths. Un sociologue pose des problèmes, mais pas un lycéen en SES. Et c’est pareil en philo. Et on peut toujours réfléchir dans un exercice sans inventer un problème.

3) J’en viens au manque important dans l’analyse d’A. Léandri, qui ne concerne pas les épreuves, mais les programmes : les programmes actuels comportent en puissance un nombre démesuré de problèmes ; par conséquent, il est fréquent que les élèves soient interrogés sur des problèmes qu’ils n’ont pas étudiés avec leur professeur, et qu’ils sont incapables de reconnaître dans les sujets. D’où les maux que nous connaissons bien : des élèves peu motivés à travailler en philo car c’est trop la loterie ; pour les élèves qui travaillent bien, le risque d’échouer à l’épreuve ; le bavardage et la rhétorique dans les copies ; un travail de correction au Bac très incertain ; etc.
D’une façon ou d’une autre, il faut donc limiter les programmes. Dans le cadre d’un programme de notions, défendu par A. Léandri, cela voudrait dire un nombre très limité de notions, peut-être quelque chose comme 5 notions dans l’année (pour une semaine de 4h). L’objectif étant que, dans le cadre des exercices actuels, un élève capable et qui a bien travaillé puisse reconnaître le ou les problème(s) sur lesquels il est invité à réfléchir, et connaître la culture philosophique qui s’y rapporte.

Joël Dolbo