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Le sujet texte des séries technologiques : difficile pour les élèves, mais aussi pour les enseignants !

vendredi 1er juillet 2016, par Joël

L’année dernière, à l’épreuve de philosophie du Bac, les candidats des séries technologiques ont eu à plancher sur un texte de Hume difficile, contenant de surcroît une erreur de traduction. Cette année, aucune erreur à déplorer dans le texte (en langue française d’origine), mais à nouveau un texte bien difficile, de Merleau-Ponty. Difficile pour les élèves, mais aussi pour les enseignants !

En résumé, dans le passage soumis aux candidats, Merleau-Ponty défend l’idée que le but des peintres n’est pas d’évoquer le monde réel, mais « de fabriquer sur la toile un spectacle qui se suffit ». Pour expliquer cette idée, il met en cause la distinction entre le « sujet du tableau » et la « manière du peintre », le « fond » et la « forme ». Et le texte se termine par l’idée qu’il est impossible d’imaginer une peinture sans jamais l’avoir vue, sur la base d’analyses de cette peinture.

Côté élèves, si j’en crois les copies que j’ai corrigées, la quasi-totalité ignoraient la distinction fond/forme, et ont été incapables d’expliquer ce point central (la question 2.b portait justement sur ce point). Surtout que, dans le texte, du fait d’un chiasme, le terme de « fond » semblait renvoyer à celui de « manière », et le terme de « forme » à « ce qu’on dit » ! De plus, la quasi-totalité ont été désorientés par le propos essentiellement critique du texte, qui rejette une certaine conception de la peinture (comme représentation ou évocation du monde réel), mais sans en présenter une autre (hormis l’expression de « spectacle qui se suffit », le texte ne précise pas du tout ce que recherche le peintre ou le spectateur). D’où, dans nombre de copies sérieuses en apparence, des interprétations très difficiles à évaluer : l’idée que le peintre cherche à exprimer des sentiments personnels, à délivrer un message, à épater les gens en faisant quelque chose de spectaculaire, etc.

Côté enseignants, reconnaissons aussi que le texte était difficile à comprendre, à nouveau du fait de sa portée essentiellement critique : en creux, l’auteur défend-il l’idée que le but de la peinture est essentiellement de représenter un monde imaginaire, quoique plus ou moins inspiré du réel ? Et dans quel intérêt alors ? Ou bien défend-il l’idée que la peinture présente simplement des formes qui peuvent faire naître un plaisir esthétique, que ces formes représentent quelque chose de réel ou non ? Ou bien encore autre chose ? Seule la connaissance des idées esthétiques de Merleau-Ponty pouvait permettre à l’enseignant de répondre à ces questions.

En résumé, les enseignants avaient à corriger des copies plaquant sur un texte énigmatique des interprétations plus ou moins arbitraires. La conséquence : une évaluation compliquée et incertaine, sauf à sanctionner la quasi-totalité des candidats ayant choisi le sujet texte.

Le choix du texte est évidemment en cause, encore une fois ! Mais, plus profondément, la situation décrite met en évidence un double problème récurrent, quoique sous une forme extrême.

  1. Un programme totalement indéterminé permet la fabrication de sujets pour lesquels les élèves ne sont pas préparés : ignorance des distinctions conceptuelles pertinentes, comme ici la distinction fond/forme ; ignorance des idées philosophiques de base qui permettraient de pénétrer le sujet, surtout quand ces idées sont en creux dans un sujet, comme ici dans le texte de Merleau-Ponty.
  2. Mais un tel programme tend aussi à placer les enseignants-correcteurs dans une situation d’incompétence, car un peu de modestie oblige à constater que l’enseignant lui-même ne peut pas tout connaître en philosophie, comme ici les idées esthétiques de Merleau-Ponty, alors que l’évaluation des copies sur un sujet quelconque exige une très bonne maîtrise du sujet (qui est bien plus que la capacité à faire une bonne copie). D’où, chaque année, les risques d’acceptation trop étroite ou trop large des diverses interprétations d’une question ou d’un texte, de la signification d’un terme, de la valeur d’un argument, etc.