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Propositions pour une réforme de la formation et des concours d’enseignement
samedi 18 décembre 2021, par
Limites de la dernière réforme du CAPES et de la formation des enseignants
De nombreuses analyses critiques de la réforme du CAPES et des masters MEEF imposée par le ministère de l’Éducation nationale sont parues [1]. Il n’est pas utile de les reprendre en détail. On peut néanmoins en rappeler les principales conclusions :
- Le passage du concours est repoussé de la fin du M1 à la fin du M2. Ce changement met fin à ce qui était objectivement un défaut du format antérieur, à savoir le positionnement du concours au milieu de la formation qui avait pour conséquence de couper celle-ci en deux, la rendant chargée et difficilement lisible, tandis que la cohérence de la formation prise dans son ensemble était au moins discutable. Cependant, en repoussant d’un an le passage du concours sans offrir aux étudiants des sources suffisantes de revenu (voir infra), cette réforme risque de favoriser les étudiants disposant des ressources sociales et économiques indépendantes et, donc, de renforcer les inégalités sociales face au concours.
- Les étudiants inscrits en master MEEF en M2 n’auront plus le statut de fonctionnaires stagiaires à mi-temps puisqu’ils n’auront pas encore obtenu le concours. Ils auront cependant la possibilité d’être en classe, comme contractuels alternants en tiers-temps, pour une rémunération de 722 euros net par mois. Ce qui justifie, selon le ministère, ce statut, c’est la valorisation de l’expérience professionnelle au concours. Cependant, en l’état, rien ne garantit que cette expérience constituera effectivement une plus-value significative au concours (voir infra), tandis que la charge de travail induite est importante et la rémunération faible : l’année de M2 demandera à la fois de préparer des cours, de préparer le concours et de rédiger un mémoire de recherche. Ce statut risque donc d’être peu attractif pour les étudiants. Par ailleurs, les rectorats sont dans l’incapacité de proposer des contrats en nombre suffisant. En l’état, il est difficile de ne pas voir dans cette réforme, un moyen pour le ministère de se doter dans chaque académie d’une réserve aisément ajustable de contractuels pour « boucher les trous », sans réelle visée formative. De plus, cette évolution aura pour conséquence de renforcer et de normaliser le recours aux contractuels dans l’Éducation nationale en l’intégrant de droit dans le parcours de préparation au concours.
- Les lauréats du concours qui auront fréquenté un master MEEF ne commenceront plus à exercer en demi-service mais en service plein, avec quelques décharges de formation. Seuls les lauréats qui n’auront pas fréquenté de master MEEF continueront à disposer d’un service partagé, mi-temps en classe et mi-temps à l’INSPE. Il y a fort à parier que cette organisation va contribuer à rendre peu attractive la formation MEEF, notamment en philosophie où la didactique et la pédagogie sont historiquement peu valorisées au concours.
- Les épreuves évoluent aussi. Deux points sont significatifs. 1° Le renforcement affiché de la dimension didactique : l’épreuve orale de leçon se trouve explicitement découpée en deux phases : une première phase d’explication de texte « classique » et « une seconde phase consistant en la conception et la présentation d’une séance d’enseignement, le cas échéant resituée dans le cadre d’une séquence d’enseignement. » Il reste à voir si ce renforcement affiché aura des conséquences réelles. Rien ne garantit que cette seconde phase soit prise au sérieux par le jury en philosophie. 2° L’introduction d’une épreuve d’entretien, centrée sur la motivation du candidat et sa capacité à s’approprier, faire connaître et partager les valeurs de la République. Les contours de cette épreuve restent particulièrement flous, ce qui n’est pas sans soulever des inquiétudes légitimes. En l’état, rien n’autorise donc à penser que le nouveau cadrage des épreuves permette une revalorisation significative de la didactique et de la pédagogie, ni qu’il permette de renforcer l’attractivité des masters MEEF en général et en philosophie en particulier.
En l’état, l’ACIREPh ne saurait donc se satisfaire de cette réforme.
Propositions
L’ACIREPh est historiquement engagée en faveur d’une prise au sérieux des dimensions pédagogique et didactique de l’enseignement de la philosophie. Une telle prise au sérieux ne saurait se faire à moins d’une réforme réellement ambitieuse de la formation, initiale et continue, des enseignants et d’une refonte significative du format des concours d’enseignement. C’est partant de cette conviction que l’ACIREPh défend les réformes suivantes.
► Dissocier une phase disciplinaire et une phase didactique du concours d’enseignement
C’est une proposition portée historiquement par le Groupe de réflexion pour la démocratisation scolaire [2] (GRDS). A l’heure actuelle, ni le CAPES ni l’agrégation ne dissocient clairement ces deux phases. Les épreuves restent essentiellement disciplinaires.
Pour bien enseigner, il faut à la fois disposer d’une bonne maîtrise disciplinaire et avoir développé une expertise didactique et pédagogique. La philosophie n’est pas à elle-même sa propre pédagogie. La maîtrise philosophique ne suffit pas à savoir construire une séquence cohérente, à fixer des objectifs de séance pertinents, à identifier les difficultés d’apprentissage des élèves ou à élaborer des étayages pertinents permettant la progression de tous les élèves. Cela justifie l’inscription d’une phase proprement didactique dans le format des concours.
Pour autant, l’enseignement ne se limitant évidemment pas à la maîtrise de savoirs didactiques hors-sol, il est nécessaire que le concours maintienne une haute exigence en termes de maîtrise disciplinaire. Si la maîtrise disciplinaire n’est pas une condition suffisante à un enseignement juste et efficace, elle n’en est pas moins une condition nécessaire.
Ces considérations plaident en faveur d’une claire distinction des phases disciplinaire et didactique du concours. Cette solution a l’avantage de lever l’ambiguïté qui pèse actuellement sur le format des épreuves qui sont toujours à la fois disciplinaires et didactiques. Dissocier clairement ces deux phases permettrait de renforcer effectivement la formation didactique et pédagogique des enseignants sans sacrifier la formation disciplinaire.
Pour la phase disciplinaire du concours, les candidats passeraient une première série d’épreuves écrites à la fin du M1. Les lauréats d’une licence de philosophie souhaitant s’orienter d’emblée vers un parcours d’enseignement pourraient s’inscrire dans un master MEEF, tandis que ceux qui souhaiteraient poursuivre un parcours de recherche pourraient s’inscrire dans un master de recherche. Le caractère essentiellement disciplinaire des épreuves de la première phase du concours ne devrait pas excessivement affecter les chances des candidats s’orientant vers un master de recherche.
Ces épreuves auraient vocation à évaluer la culture philosophique des candidats telle qu’elle est requise par les programmes de terminale. Elles permettraient aussi de s’assurer de leurs compétences en termes de problématisation, de conceptualisation et d’argumentation. Ces épreuves compteraient par exemple une dissertation et une explication de texte, comme à l’heure actuelle. On pourrait ajouter une troisième épreuve consistant dans une discussion argumentée d’un texte ou dans l’écriture d’un essai argumentatif plus libre, éventuellement appuyé sur un corpus de textes courts proposés par le jury.
Les lauréats de la première phase du concours auraient le choix de s’inscrire ou bien en M2 MEEF ou bien, pour ceux qui seraient titulaires d’un M1 de recherche, de poursuivre leur parcours de recherche. Les lauréats de la première phase du concours en garderaient le bénéfice durant un temps suffisamment long pour que cela n’altère pas leur éventuel projet de recherche, par exemple 5 ou 10 ans.
La phase didactique du concours serait placée au terme du M2 et pourrait compter deux épreuves. La première consisterait à élaborer une séance et une séquence en lien avec les programmes de terminale à partir de documents fournis par le jury et en utilisant différents supports mis à disposition. La deuxième épreuve consisterait à présenter un dossier de réflexion pédagogique et didactique. On pourrait ajouter à ces épreuves strictement didactiques des épreuves portant sur la connaissance du système éducatif dans ses dimensions historiques, sociologiques et juridiques.
Il serait possible, pour les candidats titulaires d’un M1 non-MEEF, de se présenter aux deux phases la même année, ce qui supposerait que le calendrier des épreuves le permette (la première phase pourrait ainsi être placée fin avril et la deuxième fin juin). Le droit de se présenter aux épreuves didactiques serait évidemment conditionné par l’admissibilité au terme de la phase disciplinaire. L’obtention du concours serait, quant à elle, conditionnée à l’obtention d’un master, MEEF ou non.
► Réorganiser la formation au sein du master MEEF et l’entrée dans le métier
Le nombre de reçus au concours serait déterminé à partir de l’anticipation des besoins de professeurs. Le master MEEF proposerait en M1 des cours disciplinaires afin de compléter la formation philosophique des étudiants mais aussi des cours portant sur la sociologie de l’éducation, l’histoire du système éducatif, l’histoire de l’enseignement de la philosophie et de ses débats et la psychologie cognitive. Certaines formations seraient communes aux autres disciplines, d’autres seraient spécifiques aux étudiants de philosophie. De plus, la formation compterait plusieurs stages d’observation et de pratique accompagnée.
Le M2 MEEF compteraient encore quelques cours disciplinaires mais adopterait une orientation plus résolument didactique et pratique. Entre un quart et un tiers du temps total de formation serait consacré à des stages d’observation et de pratique accompagnée. En particulier, les étudiants feraient une observation suivie sur l’année dans l’une des classes d’un tuteur. Au fur et à mesure de l’année, ils seraient amenés à prendre plus de responsabilité dans cette classe, sous la conduite du tuteur (conception de séance puis de séquence, correction de copies, etc.).
Après obtention du concours complet (phases disciplinaire et didactique), les lauréats auraient le statut de stagiaire. L’entrée dans le métier serait plus progressive : les lauréats seraient à tiers-temps en classe la première année, puis à deux-tiers la deuxième année. Le temps plein d’exercice n’arriverait qu’au terme de cette deuxième année. Le temps de service hors classe des stagiaires serait consacré à des formations ciblées et, surtout, à l’observation en classe des pratiques de collègues à la fois de philosophie et d’autres disciplines. Ces observations doivent servir à prendre connaissance des différences de pratiques et des spécificités des didactiques disciplinaires.
La titularisation se ferait au terme d’une inspection et d’un entretien avec le tuteur, le chef d’établissement et un formateur INSPE.
On pourrait imaginer que les étudiants soient rémunérés dès le M2 sous condition de passer la deuxième phase du concours et d’enseigner effectivement un certain nombre d’année (en cas d’abandon, il faudrait rembourser une partie de la rémunération touchée) selon un modèle proche de celui qui existe actuellement pour les Écoles normales supérieures avec les engagements décennaux. On pourrait aussi imaginer que la rémunération soit seulement proposée aux étudiants sur la base d’un engagement contractuel sans être rendue obligatoire.
► Supprimer la dualité du CAPES et de l’agrégation
À l’heure actuelle, la dualité des deux concours n’est pas justifiable. Elle est un héritage de l’explosion scolaire qui a suivi la Seconde Guerre mondiale sans que rien ne justifie la dualité des statuts aujourd’hui. Elle renforce la difficulté à rentrer dans le métier de nombreux collègues certifiés : elle crée une concurrence entre les collègues et vise à justifier des conditions de travail harassantes sous prétexte qu’il est possible de passer l’agrégation pour que ces conditions s’améliorent. Les deux concours ouvrent identiquement à l’enseignement secondaire. Si l’agrégation apparaît comme une condition nécessaire, officielle ou officieuse, à l’accès à certaines fonctions (classe préparatoire, université, etc.), du point de vue de l’enseignement secondaire auquel seul ouvrent de droit ces concours, elle n’a pas de raison d’être. Il n’y a aucune bonne raison de payer plus certains professeurs pour faire moins d’heures de cours.
Une solution simple serait d’unifier les concours. Il n’y aurait qu’un seul concours d’accès à l’enseignement secondaire. Ce concours unique ouvrirait au statut de professeur du second degré, avec une obligation de service de 16 heures. Évidemment, il ne faudrait pas que cela se fasse au prix d’une diminution du salaire moyen des enseignants, mais cela permettrait une augmentation significative et un traitement plus égalitaire des enseignants. L’accession à certains postes spécifiques (formateurs, inspecteurs, tuteurs, coordinateurs, etc.) dépendrait d’une certification interne avec des épreuves spécifiques et d’une audition par un jury compétent.
► Renforcer la formation continue
À l’heure actuelle, les formations proposées par les PAF et le PNF en philosophie sont très variables sur le territoire et inégalement en lien avec les dimensions pédagogiques et pratiques du métier. De plus, le taux de recours à ces formations est relativement faible. Il est donc permis de penser que peu de collègues de philosophie utilisent effectivement leur droit à la formation.
La formation des enseignants ne saurait être réservée à la seule formation initiale et il convient de renforcer aussi leur formation continue. Pour se faire, on pourrait mettre en place, pour chaque professeur, un quota annuel d’heures obligatoires de formation continue (par exemple à hauteur d’une heure par semaine en moyenne sur l’année). Ces heures seraient décomptées sur les services normaux des enseignants et en deviendraient, pour ainsi dire, un élément constitutif. Ainsi, sur 16 heures de service dues, 15 seraient assurées face aux élèves et 1 serait consacrée à la formation continue obligatoire. Ces formations obligatoires pourraient consister dans l’observation des pratiques d’autres collègues, de philosophie ou d’autres disciplines, très formatrice mais très peu courante en France, dans l’établissement de groupes de discussion des pratiques enseignante ou dans des formations thématiques ciblées avec des formateurs sur la base d’un programme annuel proposé par l’inspection et les INSPE. Les heures de réunion consacrée à la coordination avec les collègues, notamment dans le cadre de l’enseignement de la spécialité HLP, pourraient aussi être décomptées sur ce quota. Ces heures de formation continue obligatoire auraient une composante essentiellement pratique et réflexive.
Ces heures de formation obligatoires n’auraient pas vocation à se substituer aux formations proposées actuellement par les PAF et le PNF. Celles-ci seraient maintenues même si leur territoire serait redessiné. Elles consisteraient soit en des approfondissements disciplinaires, soit en des présentations de pratiques innovantes. Il s’agit plutôt d’articuler une obligation de formation, dont on peut considérer qu’elle est indissociable de la réflexivité professionnelle qu’on doit attendre de tout professeur, et un droit de formation qui viserait plutôt l’approfondissement de certaines connaissances ou compétences sur la base du volontariat.
[2] GRDS, L’école commune, La Dispute, 2012.