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Communiqué sur les projets de programmes de la DGESCO
mercredi 10 juillet 2019, par
« Les gens continuent de se dire qu’ils laissent guider leur conduite par la raison ; mais ils apprennent à anticiper et à voir à quelle conclusion une méthode conduira avant de donner leur adhésion à celle-ci. Autrement dit, ce n’est plus le raisonnement qui détermine ce que sera la conclusion, mais c’est la conclusion qui détermine ce que sera le raisonnement. C’est du raisonnement de pacotille. »C.S Peirce, Collected Papers, Harvard, Harvard University Press, vol. I, 1937, texte 56.
L’ACIREPh exprime sa désapprobation la plus entière à l’égard des projets de programmes émanant de la DGESCO et soumis au vote consultatif du Conseil supérieur de l’éducation ce 11 juillet 2019, qu’il s’agisse de leur contenu ou de la précipitation incompréhensible dans laquelle ils viennent d’être bricolés au mépris des exigences les plus élémentaires d’une consultation démocratique.
En tant qu’association professionnelle représentative d’une part significative des professeurs de philosophie, l’ACIREPh avait travaillé à des contre-propositions sérieuses et argumentées, qu’elle avait présentées à la DGESCO. Nos recommandations étaient guidées par le souci de la démocratisation et de la dimension scolaire de l’enseignement de la philosophie. Force est de reconnaître qu’aucun compte n’en a été tenu.
1) Un programme sans structure
À l’inverse à ce qu’affirme ce projet, "le programme de l’enseignement de la philosophie" ne reprend pas "le principe qui constitue la norme constante et reconnue de la discipline". Ces programmes détruisent au contraire ce qui avait été la norme la plus constante des programmes, depuis qu’ils existent : à savoir des programmes structurés selon les champs de la réflexion philosophique, introduisant par ces subdivisions un principe d’ordre, de cohérence, de délimitation et d’organisation, indispensable à tout programme d’enseignement digne de ce nom.
L’innovation consistant à introduire "trois perspectives" (elles-mêmes suprêmement vagues) ne trompe personne. Dans un programme structuré, les notions sont rattachées explicitement à un domaine ou un champ, à une "perspective". Ici rien de tel : on donne d’un côté trois "perspectives" aux professeurs, de l’autre des notions ; rien n’est articulé. Les perspectives créent seulement de la confusion en ajoutant un élément inarticulé qui brouille la compréhension sans délimiter ni organiser quoi que ce soit.
Les « perspectives » nouvellement introduites, tout à la fois, « ordonnent l’étude des notions » sans être rattachées à aucune d’entre elles, et « orientent vers des problèmes » sans qu’aucun d’eux ne soit explicités. D’ailleurs il est dit qu’elles « ouvrent » à des problèmes sans obliger, et que les professeurs sont simplement « invités à les prendre en compte ». Elles sont censées limiter les sujets d’examen ; mais comment pourraient-elles tenir cette promesse dans ce verbiage aussi flou de formulations contradictoires ?
Aucun critère n’est stipulé pour distinguer si un sujet d’examen correspond ou non au cadre illusoire de ces « perspectives ». Il n’existe donc en vérité aucune détermination ; aucune obligation d’envisager les notions selon les trois perspectives ; mais aucune obligation non plus de les envisager selon l’une ou l’autre ; aucune obligation en définitive de prendre en compte ces perspectives.
Ces perspectives finissent ainsi par apparaître pour ce qu’elles sont : rien. La multiplication des dénégations est symptomatique, et l’on voit que ce programme n’a qu’une visée : se nier lui-même en tant que programme.
2) Une réduction de façade
La réduction proposée de 21 à 16 notions est donc un leurre. La plupart des notions en contiennent d’autres, comme l’a explicitement suggéré la présidente du Conseil supérieur des programmes, Mme Souâd Ayada. Les trois perspectives ne restreignent rien, puisque chaque notion peut être abordée sous ces trois perspectives. Le nombre de problèmes qui peuvent être traités, le nombre d’associations possibles entre notions, le nombre de sujets qui peuvent tomber au baccalauréat sont en réalité illimités. Aucune garantie n’est donnée aux élèves que les sujets du baccalauréat auront un rapport avec les problèmes étudiés pendant l’année.
Ne voulant rien déterminer ni rien exclure, ces projets de programmes sacrifient ainsi à nouveau la justice d’une épreuve d’examen sur l’autel d’une liberté philosophique mythique et fantasmée. Il est pourtant évident que seul un véritable programme, limité à quelques problèmes philosophiques, laisserait aux professeurs et aux élèves le temps et la liberté d’approfondir des approches philosophiques originales.
3) Une imposition autoritaire
Le Ministère décide donc de passer en force en imposant des programmes de philosophie sans ordre ni logique, contre le rejet plusieurs fois exprimés de la déstructuration des programmes par la majorité de professeurs, par les deux principales associations professionnelles (l’ACIREPh et l’APPEP), par les syndicats et les co-pilotes du Groupe d’élaboration des projets de programmes.
Nouvelle preuve que contrairement à ce qu’il affirme, Jean-Michel Blanquer n’écoute rien, foule aux pieds les consultations et ne tient compte de rien, tout en ne cessant de déclarer qu’il est toujours ouvert au dialogue.