Accueil > L’ACIREPh > Positions publiques > Communiqué sur le rapport de la mission Mathiot
Communiqué sur le rapport de la mission Mathiot
dimanche 28 janvier 2018, par
Après avoir été auditionnée par la mission présidée par M. Pierre Mathiot, l’ACIREPh avait formulé des propositions ambitieuses pour démocratiser l’enseignement de la philosophie au lycée. Saisissant l’opportunité de ce projet de réforme, il nous avait semblé nécessaire et urgent de prendre clairement position pour un cursus progressif et cohérent de philosophie à destination de tous les lycéens, futurs citoyens amenés à prendre part à la vie démocratique de leur pays, à débattre et à voter.
Force est de reconnaître que l’occasion est manquée. Ce rapport signe le triomphe d’une vision étriquée de l’enseignement de la philosophie. Son enfermement dans la classe de Terminale est réaffirmé, alors que la nécessité de l’en sortir, pour y former progressivement tous les élèves de la Seconde à la Terminale, est établie depuis près de 30 ans avec le rapport Derrida-Bouveresse, et demandée sans relâche par l’ACIREPh depuis sa création. Découvrir en une seule année une discipline évaluée au bout de quelques mois dans le cadre d’un examen national, c’est créer toutes les conditions pour que l’enseignement de la philosophie se trouve pris dans des contradictions inextricables, que connaissent tous les professeurs de philosophie et leurs élèves en Terminale. Le pourcentage annoncé dans le rapport de 10 % alloué à la philosophie dans la note finale obtenue au baccalauréat pour tous les élèves, s’il semble de prime abord affermir la valeur de la philosophie, exacerbera les difficultés liées au maintien de cette sanctuarisation dans la seule année de Terminale.
Le statut d’épreuve universelle du baccalauréat apparaît ainsi très largement comme un leurre, dont l’ACIREPh n’est pas dupe. Comment préparer sérieusement les élèves à cette épreuve en une seule année dans le cadre d’un tronc commun qui ne laisserait que 2 ou 3 heures par semaine à la philosophie ? La mission sera impossible, comme elle l’est pratiquement déjà dans les séries technologiques, avec 2 heures par semaine et une épreuve terminale de 4 heures qui désespère ou indiffère une masse inquiétante des candidats.
L’ACIREPh tient à réaffirmer que la philosophie est fondamentale pour la formation des citoyens de demain, qu’elle relève de la culture commune ou de ce qu’on appelle aussi la formation générale de l’homme et du citoyen : à savoir, le développement de la réflexion, de l’ouverture d’esprit, du jugement critique. Nous soulignons la nécessité d’un horaire commun pour cette formation commune de la Seconde à la Terminale, qui donne du temps aux élèves pour découvrir et maîtriser progressivement des éléments substantiels d’une démarche et d’une culture philosophiques.
Le rapport de la mission Mathiot apparaît à bien des égards obscur et entretient le flou, notamment sur la question des horaires alloués à chaque discipline. L’ACIREPh juge inadmissibles ces incertitudes, tant il serait absurde de reconduire une situation injuste et pédagogiquement insensée : là où les élèves sont le plus faible du point de vue de la formation générale, en raison de leur parcours, là où ils auraient besoin d’une formation plus solide, ils ont le moins d’heures (et des épreuves aussi exigeantes !). Un rééquilibrage horaire permettrait de développer les compétences réflexives, mais aussi de lecture et d’écriture de ces élèves, c’est-à-dire ces compétences générales qui leur font tant défaut dès qu’ils passent dans l’enseignement supérieur. Le rapport Mathiot manque cruellement de clarté sur le sort qui sera fait aux élèves des séries technologiques (ou qui auront opté pour des majeures équivalentes, dont le rapport ne dit rien) : seront-ils concernés par ce tronc commun à l’ensemble des élèves ?
L’ACIREPh persévère dans sa revendication d’un horaire de tronc commun obligatoire pour tous les lycéens de 2 heures en classe de Première et de 4 heures en classe de Terminale. Des heures en classe dédoublée doivent être rétablies nationalement, afin de permettre une pluralité d’approches pédagogiques.
Quant aux contours plus généraux de ce rapport et du projet de réforme qu’il appelle ou justifie, l’ACIREPh exprime son opposition à une orientation trop précoce, quand il semble naturel d’offrir à notre jeunesse une formation aussi générale que possible aussi longtemps que possible. Le lycée n’a pas pour vocation de former des spécialistes, ni d’adapter les lycéens aux exigences du marché du travail, mais bien de former des citoyens éclairés, capables de prendre des décisions et d’exprimer des points de vue argumentés. Telle est la condition d’une véritable démocratie. Avoir le droit de choisir son orientation, ses études et sa vie, suppose de recevoir une solide formation générale, une culture commune qui donne réellement aux lycéens les moyens de l’hésitation et de la recherche de leur propre voie. Les inciter si précocement à se spécialiser revient à accentuer la pression déjà existante, qui pousse les élèves dès la classe de Seconde, alors qu’ils n’ont que 15 ans, à décider de leur avenir.
L’ACIREPh exprime son inquiétude à propos de la semestrialisation annoncée des enseignements : des modules se déroulant sur seulement 4 ou 5 mois, avec des élèves aux parcours hétérogènes, ne permettraient pas de mettre en place une réelle progressivité des contenus enseignés, ni d’inscrire les disciplines concernées dans une temporalité longue nécessaire à un apprentissage cohérent et formateur.
Si l’objectif de cette réforme à venir était de remplir les classes pour réaliser des économies d’échelle, en mettant un terme au « groupe-classe » pour lui préférer des modules de tronc commun et de spécialités où les élèves seraient amassés sans tenir compte des spécificités de leur parcours et des approches pédagogiques diverses qu’ils impliquent, l’ACIREPh ne pourrait que s’opposer à une telle logique comptable qui hypothèque les chances de progression et de réussite du plus grand nombre, et en particulier des élèves les plus en difficulté. On peut légitimement s’interroger sur les finalités de cette restructuration des enseignements au lycée, quand on observe, malgré la poussée démographique, une baisse moyenne de 20 % des postes offerts aux concours (CAPES et agrégation) pour l’année 2018.