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Communiqué sur les sujets de philosophie du bac 2019

lundi 1er juillet 2019

En 1951, déjà, Ferdinand Alquié proposait sa définition du bon sujet de philosophie : « les bons sujets ne sont pas les sujets nouveaux mais les sujets classiques. Car, dès qu’ils ne peuvent plus s’appuyer sur leur cours ou sur la pensée des grands philosophes, que tout cours bien fait a pour mission de transmettre, les candidats n’ont plus le choix qu’entre la banalité des lieux communs ou le jeu verbal des constructions illusoires » [1].

Suite aux remontées des correcteurs, l’ACIREPh témoigne de ce qu’un grand nombre de sujets proposés à la session 2019 semble satisfaire cette définition du bon sujet : ils sont classiques, c’est-à-dire recouvrent des problèmes clairement identifiables et fréquemment traités dans les cours des collègues, pour autant que le flou des programmes puisse autoriser à le penser.

L’ACIREPh exprime toutefois des réserves sur les points suivants :

  • La formulation, à la fois ardue et très pointue, du sujet de dissertation donné en séries technologiques : « Seul ce qui peut s’échanger a-t-il de la valeur ? ». Au terme d’une année de philosophie à raison de deux heures hebdomadaires, bien rares sont les candidats qui ont pu mobiliser des connaissances suffisamment solides pour pouvoir traiter ce sujet qui, de fait, fut très peu choisi.
  • Le sujet donné en série ES « La morale est-elle la meilleure des politiques ? » semble viser la question de savoir si la politique est séparée de la morale, mais en la dissimulant si bien qu’il est difficile de l’y reconnaître. Or, ces formulations indirectes et allusives sont regrettables, même si elles peuvent s’expliquer par le désir de donner des problèmes classiques sans répéter d’année en année les mêmes sujets. Les commissions de choix de sujet reçoivent ainsi la délicate mission de sauver la crédibilité d’une épreuve de philosophie mise à mal par un programme tellement vague qu’il rend l’évaluation du travail des élèves presque impossible. Faute de disposer d’un programme indiquant précisément ce que les élèves doivent connaître, on doit se rabattre sur le plus petit dénominateur commun supposé entre les professeurs.
  • D’autre part, ce sujet croise, cette fois encore, deux champs du programme, la morale et la politique. La preuve est donc à nouveau administrée que cette prétendue structuration des actuels programmes n’en est pas une, que toutes les associations sont permises, et que rien n’est finalement hors-programme. La correction des copies démontre qu’une telle indétermination produit mécaniquement un nombre considérable de « hors-sujet », y compris, si ce n’est même surtout, parmi des candidats ayant sérieusement travaillé. L’ACIREPh déplore cette situation qui ne pourra prendre fin qu’avec un programme délimitant véritablement l’étendue possible des sujets d’examen.
  • Le choix du texte de Montaigne en séries technologiques, qui pose de trop grandes difficultés d’accès au sens, comme de nombreux collègues l’ont signalé. La syntaxe et le vocabulaire, le caractère métaphorique, allusif et périphrastique de certaines tournures, par ex. « ce qui est le signe que je l’ai saisi par quelque autre moyen que par un pouvoir naturel qui serait en moi et en tous les hommes », semblent devoir faire barrage à sa compréhension littérale. Comme souvent donc, le texte choisi fait qu’on risque d’être conduit à simplement valoriser les copies dans lesquelles le texte est en partie paraphrasé correctement (par ex. un élève qui aurait compris que dans l’extrait cité, Montaigne fait allusion à la raison), ce qui relève de compétences qui ne sont pas strictement philosophiques et que le cours de philosophie n’a pas pour fonction spécifique de faire acquérir. Pourtant le problème posé est un problème classique : celui du scepticisme. Mais même un élève qui aurait eu un bon cours sur la question et qui connaîtrait les arguments de Montaigne (désaccord irréductible, absence de critère interne de l’accès au vrai...), pourrait ne pas les reconnaître et penser qu’il parle de tout autre chose. Or la simple difficulté qu’il y a à expliquer clairement ces thèses et arguments, à identifier à quel problème ils répondent quand ils sont exprimés dans une syntaxe et un vocabulaire qui laisse le moins de place possible à l’ambiguïté et aux difficultés d’interprétation, sont les conditions nécessaires et suffisantes pour attester du travail et de la qualité philosophique de la réflexion d’un élève à la fin de la classe de terminale. Ainsi, la nature de ce texte conduit à valoriser des compétences qui ne sont pas spécifiquement philosophiques au détriment de l’évaluation de compétences qui, elles, le sont.
  • Enfin, l’ACIREPh salue la comparaison rendue possible entre les actuels sujets en séries technologiques et les nouveaux formats en vigueur en STHR depuis la session 2018. Dans plusieurs académies, en effet, des correcteurs ont reçu dans leur lot des copies issues des séries STIDD, ST2S ou STMG, accompagnées de copies issues de la série STHR. Un véritable travail de comparaison peut ainsi être effectué sur le sujet « Les lois peuvent-elles faire notre bonheur ? », qui était en STHR donné en composition, et sur l’explication du texte de Montaigne.

L’ACIREPh demande à la commission de suivi des formats de sujets STHR de rendre public le bilan de cette session 2019 de l’examen, et de consulter, sur cette base empirique, l’ensemble de la profession en vue d’une extension de ces nouveaux formats au baccalauréat technologique. L’ACIREPh est favorable à cette extension, aux conditions qu’elle a déjà adressées à la DGESCO.


[1cité dans Qu’est-ce qu’un bon sujet de dissertation philosophique ? par F. Marchal, Côté-Philo,
oct. 2000