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Extraits du Colloque de Reims 2006

Un point de vue institutionnel sur l’enseignement de la philosophie en bacs professionnels. Compte-rendus des programmes expérimentaux de Nantes, Montpellier et Reims.

dimanche 31 décembre 2006, par Acireph

PROMESSES, DIFFICULTÉS

Jean-Louis POIRIER, IGEN

 

 Pourquoi introduire un enseignement de la philosophie dans les lycées professionnels ? Pareille question devrait être jugée parfaitement incongrue, tant la réponse va de soi : parce qu’il n’y a pas de raison de ne pas proposer le même enseignement général aux trois voies de nos lycées. L’introduction d’un enseignement de philosophie dans les lycées professionnels est un élément essentiel dans une politique qui revendique pour objectif ’l’égale dignité des trois voies’.

 Mais il faut mentionner encore deux autres raisons la première tient à l’ouverture d’esprit véritable, gage de liberté, qu’apporte la philosophie à de futurs travailleurs la seconde se rapporte à l’intérêt de la discipline enseigner en lycée professionnel est occasion de ressourcer et renouveler la pédagogie, au plus grand bénéfice de toutes les voies d’enseignement.

 Nul ne niera les difficultés. Notamment celles qui tiennent aux modèles culturels dominants qui conduisent au rejet d’une pensée désintéressée, et celles qui tiennent au rapport des jeunes à l’expression écrite, Pour vaincre ces déficits, il n’y faut pas seulement conviction et lucidité, il y faut encore la capacité de remettre en chantier la pratique même de l’enseignement.

 En leur modestie, les expériences conduites jusqu’ici dessinent bel et bien un projet. Elles ne s’interdisent pas de grandes ambitions, elles réclament une volonté. Sous la conduite du Recteur Bloch, les Académies de Nantes, Montpellier et Reims ont montré le chemin. Celle de Nice, également, de son côté.

 

 

UN DÉFI ET UNE CHANCE

André PESSEL (IGEN Honoraire)

 Il importe de donner aux professeurs de philosophie qui vont enseigner dans les lycées professionnels le moyen de connaître ce milieu absolument nouveau pour eux. Il est nécessaire qu’ils puissent, au début de l’année, rencontrer l’équipe pédagogique et élaborer un projet commun, dans lequel la philosophie n’apparaisse pas comme une pièce rapportée.

Aucun professeur ne doit être affecté exclusivement en lycée professionnel (crainte souvent manifestée).

L’appel à des volontaires est souhaitable. Il n’est pas difficile d’en trouver, y compris parmi les professeurs de classes préparatoires, en particulier si l’inspection le recommande.

Le rythme pédagogique de ces classes est spécifique et il faut en tenir compte surtout en raison de la discontinuité introduite par les stages à l’extérieur de l’établissement. Les heures d’enseignement philosophique doivent être déterminées, non pas de façon hebdomadaire, mais globalement par rapport à l’ensemble de l’année scolaire Il n’est pas sûr qu’il faille dans tous les cas conserver la durée habituelle des leçons.

La manière pour les élèves d’être présents dans l’établissement et par conséquent la représentation qu’ils s’en font, est différente de ce qui se passe dans les Lycées d’enseignement général et technologique. Il faut que les professeurs de philosophie en soient conscients car cela impose sans doute un autre type de disponibilité et même d’interdisciplinarité. Il faudrait en tenir compte dans le calcul des heures de service.

 Il faut, bien entendu, un programme pour cet enseignement. Mais l’on peut imaginer de dissocier, pour les lycées professionnels, les deux fondions traditionnelles d’un programme définition du projet pédagogique et organisation de l’évaluation des élèves.

 Le projet pédagogique doit correspondre aux normes générales de la discipline. Il serait ruineux de concevoir une sorte de philosophie adaptée à un public particulier. Le risque serait alors de fonder l’enseignement sur une demande imaginaire des élèves qui ne correspondrait, souvent, qu’aux préjugés des professeurs. On est au contraire surpris de l’ambition théorique que ces classes manifestent lorsqu’on leur en donne l’occasion. L’expérience prouve d’ailleurs que les questions les plus métaphysiques ont autant de succès ” que celles qui semblent plus étroitement liées à ce qu’on pourrait supposer proche de l’expérience des élèves.

 À l’exigence de traitement exhaustif du programme (que la forme actuelle des épreuves de philosophie au baccalauréat rend nécessaire dans les autres séries), il ne faut pas craindre de substituer l’idée que le programme définit des lignes de force à partir desquelles le professeur peut agencer son enseignement. On a même envisagé une délibération de la classe qui, quelques semaines après le début de l’année, déterminerait avec le professeur une sorte de contrat. Cela n’ira pas sans incidences sur l’évaluation.

 Il faudra, en effet, inventer un nouveau type d’évaluation, à la fois dans ses conséquences pour le calcul des points au baccalauréat et pour la forme de l’épreuve. Cela pourrait se présenter comme l’octroi de points supplémentaires qui tiendrait compte de l’assiduité des élèves et de leur performance le jour de l’examen. Cet examen pourrait prendre la forme d’un entretien oral sur la base d’un document résumant pour chaque classe ce qui a été fait pendant l’année.

Les exercices écrits ne seraient pas abandonnés, mais ils auraient pour fonction de préparer à l’oral, par exemple, par la constitution d’une sorte de “ journal de bord ” où, avec l’aide du professeur, l’élève fixerait brièvement les acquis de chaque séance ou groupe de séances. La dissertation philosophique reste ici un idéal à atteindre plutôt qu’un modèle à réaliser. Encore faudrait-il, ici comme ailleurs, que ses règles soient clairement définies, à partir d’exemples précis. Rien n’indique que les élèves des lycées professionnels soient, au moins dans certaines filières, incapables d’y satisfaire. Il serait néanmoins injuste de ne concevoir l’évaluation que sous la forme de la dissertation.

 En conclusion, on peut dire que l’introduction de l’enseignement philosophique dans les lycées professionnels représente un défi et une chance pour la discipline.

 Un défi parce qu’il faut vaincre des résistances et des difficultés. Mais il y a une demande qu’on ne saurait prendre à la légère. Les élèves revendiquent assez souvent une sorte de droit à la philosophie. Mais il importe que ce droit soit institué par la mise en œuvre des normes de la discipline. Ainsi, dans l’expérience qui a été menée, au-delà d’un simple débat d’opinions sur des questions qui les intéressaient, les élèves ont pu, progressivement, élaborer une double rationalité : celle de la situation dialogique et celle de l’objet dont ils débattaient. Le débat se transformait donc en leçon.

 La poursuite et l’extension de cette expérimentation représentent une chance pour l’enseignement philosophique. Il sera contraint, en inventant pour les lycées professionnels des moyens adaptés, de faire avancer la nécessaire réflexion sur sa pratique dans les séries générales et technologiques. L’expérience montre en effet qu’il n’y a pas de différence de nature entre les difficultés rencontrées par les élèves dans l’ensemble des classes de Terminale. riais, pour les séries générales et technologiques, on rencontre entre les établissements, et dans les établissements, entre les classes, le même genre de différences que celles qu’on rencontre entre les différentes filières des lycées professionnels.

 L’avantage de la situation d’expérimentation est de remplacer la déploration, Si souvent exprimée, sur l’écart entre ce qu’on voudrait enseigner et ce que l’on a PH enseigner en raison de la “faiblesse des élèves ”, par une réflexion sur ce qui s’est effectivement produit dans la relation pédagogique. Les professeurs qui ont participé à cette expérimentation ne manifestaient pas de la déception mais une sorte de vigilance par rapport au réel A cet égard, ce serait en effet une chance pour la discipline Si la même vigilance pouvait s’étendre, par la généralisation de cet esprit d’expérimentation, c’est-à-dire d’innovation nécessaire.

 

 

L’EXPÉRIENCE DE NANTES (1998-2000)

M. Alain LASALLE (IPR-IA)

 

RAPPEL ET BILAN DE LEXPERIENCE CONDUITE EN 1998-1999 ET MODALITES DE l’EXPÉRIMENTATION EN 1999-2000

 

Un aspect du bilan

 Dans le rapport rédigé en juillet dernier, au terme de la première année d’expérimentation, un point revenait : l’écrit, indispensable à l’accomplissement authentique d’un enseignement philosophique et outil nécessaire pour une évaluation objective de l’expérimentation. Mieux, “il est nettement apparu que la limite de cette expérimentation a été rencontrée dès lors qu’il s’est agi de penser, de définir et de mettre en œuvre une évaluation qui ne doit pas seulement être envisagée dans la perspective d’une épreuve d’examen, mais également comme un outil indispensable pour mesurer l’expérimentation de cet enseignement elle-même ”. De fait, “ lorsque des exercices écrits ont été effectués, ce n’est jamais allé - autant qu’il a été possible de le vérifier - jusqu’à la rédaction d’un authentique écrit, il s’agissait de textes ponctuels, formulant quelques propositions, ou de rapides réponses à quelques questions. La rédaction est souvent fautive et imprécise ; il apparaît que dans l’ensemble les professeurs se sont refusés de deux manières à évaluer de tels travaux : d’une part, en formulant seulement un avis (ce que prescrivent effectivement les compléments au programme pour le début d’année) d’autre part, en ne donnant à la note - généralement assez flatteuse - qu’une valeur indicative.”

 C’est ce constat qui m’avait conduit, au terme du rapport, à formuler cette proposition : “ que cette année soit consacrée à un travail, fruit de rencontres régulières un mercredi après-midi toutes les 6 semaines - de l’ensemble des professeurs qui ont enseigné dans ces classes en 1998-1999, afin que nous réfléchissions ensemble aux exercices et aux modalités d’une évaluation possible, ce qui ne serait pas sans retombées sur l’enseignement philosophique là où il est institutionnellement présent. Si les établissements volontaires poursuivaient cette année scolaire 1999-2000 l’expérience d’un enseignement philosophique dans leurs classes terminales, ils fourniraient ainsi une assise à notre réflexion et la possibilité de mesurer la pertinence des voies explorées et des exercices envisagés.”

 Lorsque la décision de Monsieur le Recteur BENEJAM a été connue, c’est sur le travail écrit que l’accent a été porté ; de fait, les difficultés rencontrées dans les séries de la voie professionnelle concernent en grande partie les élèves des séries de la voie technologique : la réflexion sur les problèmes des uns ne peut que permettre de penser des solutions pour ceux des autres. C’est une nouvelle fois l’unité de l’enseignement philosophique qui se trouve mise l’épreuve et confirmée.

 

L’organisation du travail de l’année

 Centrées sur la production écrite et les voies de sa réalisation, cinq réunions de travail ont été fixées : Il s’agit, progressivement, de repérer et d’analyser les difficultés, de proposer des exercices capables de vaincre les obstacles afin d’envisager la possibilité d’un devoir écrit achevé.

 

NATURE ET FORMES DES DIFFICULTES RENCONTREES PAR LES ELEVES.

 Enquêtes préparatoires

 Afin de dégager les difficultés et de penser la nature des obstacles, des exercices ponctuels ont été réalisés ; tous partaient d’un objet commun. Il s’agissait à son sujet de répondre à des questions.

Un professeur est parti de la projection d’un film, en relation avec une notion précédemment étudiée ; des questions d’explicitation et de reconstruction étaient posées. Un autre est parti de la leçon elle-même et a demandé, par groupes de huit, aux élèves de répondre à chacun une question ; parce qu’ils étaient 24, trois sujets étaient proposés, qui tous reprenaient les propos du cours en invitant à les assumer réflexivement et à les prolonger. Deux professeurs ont distribué un texte - l’un de Spinoza, l’autre de Diderot - au sujet duquel ils ont posé des questions qui exigeaient des élèves qu’ils manifestent la compréhension qu’ils en avaient. Généralement, ce premier exercice préludait à un second où, avec le possible recours aux dictionnaires, les élèves devaient cette fois partant de notions ou de concepts aller à la rencontre des propos de l’auteur Les deux derniers professeurs ont emprunté d’autres voies : soit, partant du rapport de la nature à la culture, il a été demandé de penser une liste de notions et de concepts et de légitimer en quoi les uns appartenaient à un ordre et les autres à un autre ; soit, peut-être plus traditionnellement, un sujet de type dissertatif a été donné, les élèves ont eu à construire un développement argumenté pouvant conduire à une solution,

 

Résultats et premiers constats

 Ce que possèdent en commun les travaux rendus :

La brièveté (jamais pour l’ensemble de l’exercice plus de deux pages)

La difficulté à mobiliser à la première personne les réflexions construites en commun dans la leçon

La difficulté de présenter par écrit un discours ordonné et où les arguments procéderaient logiquement

 

Un constat à valeur programmatique :

La classe qui a travaillé par groupes de huit et qui a ainsi produit trois devoirs collectifs n’autorise pas un semblable constat ; tout se passe comme si l’effet du collectif rendait imperceptibles les défaillances individuelles. De fait, les travaux rendus sont plus longs et davantage ordonnés : un plan se remarque facilement ; les idées sont présentées selon une progression également repérable.

Réfléchissant sur les conditions de production, il nous est vite apparu que la médiation de l’oral, d’une part, et que la relation de l’élève argumentant pour d’autres à qui il devait s’expliquer afin de les convaincre, d’autre part, avaient été déterminantes. En effet, si l’écrit - ici comme ailleurs - est faible, parce que souvent vide lorsqu’il n’est pas simplement absurde, et s’il est perçu comme simple exercice scolaire, c’est qu1il est privé d’authentiques destinataires rationnels à qui il conviendrait de s’adresser afin que, selon les principes de la raison commune, nous puissions nous entendre. S’il était besoin de se convaincre, il suffirait de demander à un élève de lire le devoir dont il est l’auteur pour le voir s’y refuser, ne se reconnaissant nullement en ce qui désormais est perçu par l’artifice de l’exercice comme pure extériorité.

 

Nous avons donc décidé de construire des exercices qui mobiliseraient d’abord une structure intersubjective - phase craie - en vue de conduire, chacun et pour lui-même, à proposer un texte qu’habiterait encore la forme de l’interlocution.

 

DES EXERCICES ORAUX POUR UNE PRODUCTION ECRITE.

 Le travail oral

 Lorsqu’il s’agit de participer au travail de la classe ou d’exposer et de développer une idée aux autres, il apparaît que tout élève - indépendamment des difficultés liées à la maîtrise simple de langue et surtout indépendamment des réticences, voire d’une suspicion, face à l’activité d’une pensée se faisant et se refaisant dans les formulations toujours plus exactes et plus précises d’un discours ; difficultés et réticences qui engagent la représentation des disciplines d’enseignement général en lycée professionnel - sait être capable d’entendre et de se faire entendre. Il faut donc que les exercices oraux préparatoires dans une distribution de rôles et de fonctions - instituent chacun dans sa relation aux autres : tel exposera sa pensée que tel autre, secrétaire du groupe notera et soumettra aux participants pour que la formulation ainsi amendée permette à tous de s’y reconnaître. Partant, chacun sera en mesure de se réapproprier le discours collectif pour le faire sien. De la même manière, à chaque étape d’une leçon ou au terme de celle-ci, un élève proposera aux autres une ressaisie qui, dictée et donc adressée à tous, constituera la mémoire de la classe. Elle peut alors prendre place dans un cahier de classe, œuvre collective. Il arrive que la forme écrite requière la médiation du tableau où se trouvent d’abord récapitulés les éléments de la réflexion, par le professeur et sous la conduite des élèves, avant que dans un deuxième temps, on classe et ordonne ce qui a été dit Ce travail s’achève également par la dictée de quelques lignes qui rassemblent et objectivent ce qui a été pensé.

 

 Les possibilités d’un travail écrit

 L’horaire des sections de Bac Professionnel rend quasi impossible une rédaction hors de la classe ; lorsque cela a été tenté, les résultats ont été décevants : bien que fort sérieuses, les copies ont laissé paraître que, hors de l’encadrement du professeur, les difficultés initiales subsistaient, quelles que scient les consignes données. Il est toutefois à noter que seules deux classes ont été invitées à travailler de cette manière, D’une façon générale lorsque l’exercice écrit est très limité dans ses objectifs comme dans ses moyens, une certaine réussite a été constatée ; c’est le cas des reprises dictées évoquées plus haut. Cela s’est rencontré également lorsque le souci de mesurer la pertinence de la compréhension d’un texte a conduit le professeur à demander aux élèves de réécrire un passage ou, quand un plan est donné ou établi, il s’agit de rédiger complètement tout ou partie des paragraphes correspondant aux étapes de la pensée.

 Il ressort donc que si la voie choisie d’une médiation de l’oral avec pour fin la production d’un texte écrit s’est révélée pertinente, il convient de rester fort modeste quant aux résultats obtenus. Les difficultés rencontrées - peut-être davantage visibles dans les sections des Baccalauréats Professionnels, mais tout aussi réelles dans les sections des séries technologiques, plus particulièrement industrielles, sans être totalement absentes des séries des baccalauréats généraux - sont également liées au parcours des élèves scolarisés dans les lycées professionnels. Orientés souvent à la suite d’échecs scolaires dans les disciplines d’enseignement général, ils ont reconquis une image positive d’eux-mêmes dans les disciplines professionnelles et vivent globalement les disciplines d’enseignement général comme celles qui peuvent menacer la réussite à l’examen. C’est surtout parce que la philosophie ne figure pas aux épreuves du Bac Professionnel que, généralement, l’enseignement philosophique a été assez bien reçu. Pourtant afin de se situer dans cette activité “ gratuite ”, des demandes d’évaluation chiffrée ont été formulées par les élèves, à l’issue de leurs productions écrites, qui sont toujours restées de faible ampleur.

 

L’EXPÉRIENCE DE REIMS (2000 - 2001)

Expérience pilotée par M. Francis FOREAUX, IA-IPR

 

EXTRAIT DE LA NOTE D’ÉTAPE DU 19/01/01 DE M. JEAN-LOUIS POIRIER, IGEN

 Les sites retenus pour l’expérience :

 Il fallait d’abord déterminer l’ensemble des sites possibles :

 des cités scolaires, afin de pouvoir faire intervenir dans les LP des professeurs de philosophie déjà dans la place,

 des sites pourvus en moyens de remplacement, puisqu’il était prévu que des EH assurent la suppléance des professeurs intervenants, partiellement déchargés de service.

 

Finalement, et compte tenu de la règle du volontariat, 3 sites : Europe à Reims, Godart-Roger à Epernay et Oehmichen à Châlons-en-Champagne ont pu être retenus, et 4 professeurs engagés dans l’expérience. Ce petit nombre est la conséquence d’une relative difficulté à trouver des volontaires (sans doute en raison de l’époque tardive où la proposition a été faite, mais aussi parce qu’on s’est refusé à exercer toute pression). Mais le fait est que les volontaires trouvés sont réellement volontaires et exceptionnellement motivés.

 L’intégration de l’enseignement de la philosophie dans les établissements

 Instruits par les précédentes expériences, nous avons veillé avec beaucoup de soin à réussir l’intégration de ces professeurs au sein de l’équipe pédagogique et dans l’établissement. À cet effet, des rencontres ont été organisées dans chaque établissement, réunissant non seulement les élèves des classes choisies et les professeurs, mais aussi l’équipe de direction et les autres personnels enseignants (des disciplines générales et professionnelles).

 

D’une manière générale, ces rencontres se sont déroulées de la même façon dans tous les établissements et ont été fructueuses

 

Du côté des élèves, il fallait vaincre une certaine réticence : ils admettent assez volontiers qu’un enseignement de la philosophie leur apportera quelque chose de plus, et ils savent que c’est une demande qui est la leur (demande parfois relayée par des organisations). Ils insistent surtout sur le fait qu’ils ne veulent pas d’une philosophie “ au rabais”. Il reste que s’ils acceptent un surcroît de travail et une surcharge de leur emploi du temps, ils ne cachent pas que c’est parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement.

 Du côté des professeurs des autres disciplines, qu’on a tenu à impliquer dans l’expérience au prix de quelques explications, ils semblent comprendre et accepter leur râle. Il nous paraît que cet appui, celui de toute l’équipe pédagogique est essentiel à la réussite de l’expérience : et dans chaque établissement, non seulement les professeurs de philosophie sont bien acceptés, mais ceux-ci s’intègrent pleinement à l’équipe, y compris en ce qui concerne le professionnel (ils suivront, comme les autres professeurs, les stages de leurs élèves ils collaboreront avec les professeurs d’atelier).

 

L’enseignement et l’évaluation :

 En accord avec les professeurs, un programme a été déterminé (cf. annexe). Il s’inspire des programmes établis lors des précédentes expériences, notamment de celui de Montpellier. On a essayé à la fois de l’alléger et de le déterminer (il est plus court et plus précis), mais aussi d’y faire valoir les niveaux d’exigence traditionnellement considérés comme les plus hauts (un des items porte sur la “ métaphysique ”). Ce programme sert de référentiel, mais la plus grande liberté est laissée aux professeurs.

On a essayé aussi de fixer les principes d’une évaluation (puisqu’un “ certificat ” pourra être attribué aux élèves), qui, en se fondant sur la soutenance d’un carnet de bord, ferait intervenir l’écrit et l’oral (cf. annexe). Il nous semble que si l’expérience de Reims doit aller plus loin que les précédentes, ce sera en se confrontant au problème de l’évaluation.

 Premier bilan de l’expérience :

 Globalement, sur les trois sites, l’expérience se déroule bien jusqu’à présent, malgré les réserves d’un des 4 professeurs

 Sur le premier site (Godart-Roger, à Epernay) l’enseignement concerne deux groupes (15 + 13 élèves) d’une même classe (électroniciens, maintenance des systèmes mécaniques automatisés), à raison d’1 heure 1/2 par semaine, Le professeur conduit la classe à partir des représentations des élèves, en les amenant à préciser et discuter leur point de vue, puis à mettre en ordre les notions. C’est le professeur lui-même qui, au cours suivant, propose et dicte une synthèse. Les élèves sont satisfaits de voir certaines de leurs idées reprises dans un texte constitué.

Selon la même méthode, on a étudié un texte d’Épictète. Les élèves “ accrochent et sont actifs ’, mais il faut canaliser la discussion et, dans un des deux groupes, moins productif et plus agité, gérer la discipline. Ils ont beaucoup de mal à tenir un “ carnet de bord ”, à moins que l’on ne considère que la prise de notes sous la conduite du professeur en tienne lieu.

 

Sur le second site (Oehmichen à Châlons-en-Champagne), deux professeurs interviennent.

Le premier professeur a la responsabilité d’une classe (entière) de 6 élèves (MSMA), à raison de 2 séances d’1 heure par semaine et 2 heures tous les 15 jours. Le contact qui a été pris avant le départ des élèves en stage conduit à une appréciation nuancée.

D’une part, le professeur ne rencontre aucun problème d’immaturité, le contact est facile, les élèves font preuve d’une spontanéité de bon aloi et se prêtent bien au jeu d’une réflexion collective. De ce point de vue, ils se comportent mieux que la plupart des élèves de série S. La discussion est d’un niveau plus élevé qu’en STI. Les élèves ne se lassent pas et sont demandeurs d’approfondissement. De ce point de vue, l’impression est remarquablement positive.

D’autre part, il faut reconnaître qu’il est très difficile d’obtenir une production écrite personnelle. Le professeur n’a pas encore assez de recul pour juger ; en attendant il fournit lui-même une synthèse écrite.

Le second professeur enseigne dans des conditions comparables (2 heures par semaine, avec 8 élèves, en MSMA). Exception faite pour un élève qui ne vient pas du tout (et dont le comportement est identique dans les autres disciplines), l’ensemble de la classe se dit satisfait. Faisant du français et de l’histoire et géographie, les élèves considèrent comme “ normal ’de faire de la philosophie.

Le professeur estime que ses élèves ont compris que “tout n’est pas autorisé dans la manière de penser ”,. Mais le problème de l’écrit est considérable : ils ne sont pas prêts, et le professeur “les force” à écrire. Faire une dissertation est inimaginable.

Le professeur envisage de traiter l’intégralité du programme, il pratique avec mesure et directivité le cours dialogué. Il fait le carnet de bord avec les élèves, il les guide (mais il évoque l’insuffisance du CDI).

 En conclusion, le professeur juge que ses élèves sont particulièrement réceptifs, il apprécie leur honnêteté, le fait qu’ils veulent réellement comprendre. Ils sont capables d’une réflexion tout à fait sérieuse et il n’est pas sûr que cette possibilité existe avec la même consistance dans les séries générales.

 

Sur le troisième site (Europe à Reims), te professeur intervient dans 2 sections de 15 élèves chacune (vendeurs), qu’il a séparément. En raison des stages, au début du mois de janvier, il ne les a vus que trois fois, il est donc trop tôt pour avoir une appréciation décisive.

 À ce professeur, les résistances ont paru plus vives qu’à ses collègues. Il compte moins de réactions favorables. Le cours a commencé sur ce qu’il juge être un peu un malentendu : de manière plus générale, les élèves semblent retirer de l’enseignement un contenu purement informationnel, ils n’accèdent pas assez à l’autonomie et à la réflexion. Ils prennent bien des notes, mais ils ont du mal à fournir eux-mêmes de l’écrit, le carnet de bord n’est pas fait.

 Cela dit, les élèves ont des capacités, ils s’intéressent au cours, ils participent normalement, et les éléments négatifs relevés ne les distinguent pas, en fait, des élèves des autres séries.

 

Conclusion

L’expérience semble bien engagée. On peut penser qu’elle confirmera la possibilité d’un enseignement de la philosophie dans les lycées professionnels. Il est déjà visible que les difficultés principales concerneront la production écrite et l’évaluation Il conviendra de s’ouvrir à toutes les possibilités. La présente expérience est donc l’occasion de renouveler la réflexion sur ces questions.

 

 

 

Les programmes d’enseignement élaborés par l’Inspection...

[Commentaire de l’ACIREPh : les programmes concoctés par l’Inspection n’ont pas été réellement mis en œuvre ; c’est qu’il aurait fallu les penser, les concevoir, à partir des besoins et des caractéristiques de ces séries au lieu de reproduire ce qui se faisait ailleurs ; résultat : des programmes infaisables, inadaptés... et anti-pédagogiques au possible. On aurait voulu démontrer l’impossibilité de faire de la philo dans ces séries qu’on ne s’y saurait pas pris autrement. Fort heureusement les professeurs volontaires soutenus par les IPR engagés dans l’action ont su adapter leurs pratiques à la réalité du terrain. On notera qu’entre les premiers programmes et les derniers, une évolution se dessine… on commence à prendre en compte les difficultés]

 

1. NANTES

 PROJET DE PROGRAMME POUR l’ENSEIGNEMENT PHILOSOPHIQUE EN LYCÉES PROFESSIONNELS

 Un enseignement élémentaire de philosophie ouvre l’esprit à ses propres pouvoirs d’intelligence du réel comme à ses interrogations les plus fondamentales. Développant les facultés de réflexion des élèves, il les met en mesure de juger par eux-mêmes, et ainsi de prendre part, de façon consciente et active, à la société de leur temps, à l’humanité. Par la formation d’un jugement autonome et critique, il prépare à la vie intellectuelle et pratique, à l’exercice de la liberté et de la citoyenneté.

L’exigence philosophique est une : le programme exprime cette unité. C’est pourquoi il est général : c’est sa mise en œuvre qui requiert des dispositions adaptées à chaque classe.

 

LA NATURE

Connaître, transformer, respecter la nature

Le naturel et l’artificiel

Le temps de la nature et le temps de l’histoire

La nature humaine comme problème 

 

LE LANGAGE

Penser et parler

Parler et communiquer

 Peut-on tout dire ?

Qu’est-ce qu’une langue ?

 

LE TRAVAIL

Travail humain et activité animale

Division naturelle, répartition technique et organisation sociale du travail

Travail et loisir

Le droit au travail

 LA JUSTICE

L’exigence de justice et l’institution du droit

Le droit de punir

La force et le droit

Justice, égalité, équité

 

LA RAISON

Être raisonnable

La preuve et l’argument

L’irrationnel

L’universalité de la raison 

 LA LIBERTE

Désir, volonté et autonomie

Nécessité et liberté

Les lois, sont-elles pour la liberté un obstacle ou une condition ?

L’étude de toutes les notions est obligatoire ; elle doit toujours être déterminée par des problèmes philosophiques explicitement formulés. Dans la liste présente chacune des notions est accompagnée de quelques indications.

 

COMPLÉMENTS

 Le cours de philosophie ne vise pas à transmettre à un public passif des informations ou des connaissances constituées, mais requiert du professeur qu’il intègre à Sa démarche les interrogations et les arguments que développent les élèves et de ceux-ci qu’ils prennent part à l’effort commun de réflexion.

 La réussite d’un enseignement philosophique en lycée professionnel suppose d’une part que soient mises en œuvre des dispositions pédagogiques appropriées aux élèves de ces Lycées ainsi qu’aux conditions effectives de cet enseignement, d’autre part que soient respectées les normes propres à la discipline.

 Pour chacune des six notions du programme, quelques indications sont proposées à la réflexion, Elles ne sont ni impératives ni limitatives. De même, l’ordre des notions ne contraint pas la liberté du professeur. On pourrait tout aussi bien organiser le cours selon un ordre différent. Il serait possible, par exemple, de prendre un premier axe de pensée qui, avec la raison et le langage, déterminerait les conditions de la pensée dans son exigence de vérité ; un second axe qui, avec la nature et le travail, spécifierait l’humanité comme être historique ; un troisième, enfin, qui, avec la justice et la liberté, déterminerait son être social en tant que citoyen.

 En ce qui concerne les travaux écrits demandés aux élèves, le professeur se montrera particulièrement attentif aux difficultés que ceux des séries professionnelles, plus que ceux des autres séries, rencontrent dans l’usage de la langue écrite. Les exercices écrits pourront prendre la forme de définitions et de distinctions conceptuelles, recherche et analyse d’exemples, élaboration de questions en problèmes, construction d’argumentations rigoureuses, etc. Tous ces exercices contribuent à la formation d’une réflexion claire et ordonnée, telle qu’elle trouve son accomplissement dans la dissertation. Un “ cahier d’exercices ” tenu par chaque élève pourrait s’avérer un moyen utile pour entraîner ceux-ci à l’écrit. Il s’agit toujours d ‘encourager l’élève à rédiger philosophiquement sa conception, c’est-à-dire à mettre en œuvre un discours qui, partant d’une question, pose un problème qu’il lui faut résoudre et à cette fin argumente et progresse jusqu’à l’énoncé d’une solution claire, avec pour seul souci la vérité fondée.

 Il importe aussi d’exercer les élèves à l’oral en les encourageant à prendre la parole et en leur apprenant à maîtriser une spontanéité parfois excessive, afin qu’ils forment mieux leur propre pensée, qu’ils l’explicitent plus clairement et plus complètement et qu’ils aient le souci de la fonder. Il faut aussi leur apprendre à s’écouter mutuellement pour prendre en considération les arguments et les objections qu’on peut leur opposer et dépasser ainsi le moment de l’affrontement dogmatique des opinions. Les mêmes exercices peuvent être faits à l’oral et à l’écrit, de telle sorte que le travail effectué oralement en classe trouve naturellement pour les élèves un achèvement dans le cahier d’exercices.

 La lecture des textes philosophiques, qui constituent le socle indispensable de notre enseignement, a pour fin de présenter aux élèves des modèles au contact desquels leur pensée propre peut se former, Le professeur fera apparaître pour la classe le problème précis auquel le texte étudié veut apporter une réponse. Surtout, il s’efforcera de faire apercevoir l’actualité de ce problème, non dans la signification factuelle du mot “ actualité ”, mais en opposition avec une approche purement historique du texte, c’est-à-dire en montrant que le problème que pose celui-ci conserve un sens pour nous et pour une pensée du présent.

 L’évaluation des travaux devra privilégier les indications pédagogiques sur la notation. On se gardera de décourager les élèves, en début d’année, par des notes trop basses :

on préférera, dans ce cas, ne pas noter les premiers exercices et faire une large place aux explications et à la rectification des erreurs commises. Le professeur se souviendra que la précision de ses propres annotations est l’une des conditions du progrès de ses élèves.

 

 2. Programmes de MONTPELLIER

 PROJET DE PROGRAMME POUR l’ENSEIGNEMENT PHILOSOPHIQUE EN LYCÉES PROFESSIONNELS

 

LA NATURE

La connaissance de la nature

Le naturel et l’artificiel

Le problème de la nature humaine 

 

LE LANGAGE

 Penser et parler

La communication

Qu’est-ce qu’une langue ?

 

LE TRAVAIL

La transformation de la nature

La division du travail

Travail et loisir

 

LA JUSTICE

La force et le droit

Égalité et différence

Le droit de punir

 

LA RAISON

L’expérience et la raison

Le rationnel et l’irrationnel

Qu’est-ce qu’être raisonnable ? 

 

LA VÉRITÉ

Erreur et illusion

Le mensonge

La science et l’opinion

 

 

L’ART

Beauté naturelle et beauté artistique

La création artistique

Le plaisir esthétique

 

LA LIBERTE

Les lois et l’État

Désirer et vouloir

 La responsabilité

 

 

3.Programmes de REIMS

 PROJET DE PROGRAMME POUR l’ENSEIGNEMENT PHILOSOPHIQUE EN LYCÉES PROFESSIONNELS

 

LE LANGAGE

Le langage et la pensée 

La communication

 

 LE TRAVAIL

La transformation de la nature

La division du travail

 

LA JUSTICE

La force et le droit

Les échanges

 

LA CONNAISSANCE ET LA RAISON

Le savoir scientifique

La métaphysique

 

 L’ARTLe beau naturel et le beau artistique

Le plaisir esthétique

 

 LA LIBERTE

L’État

La responsabilité

 

Ce programme n’est pas un programme d’examen. Il doit d’abord être compris comme unmoyen d’enseignement. Le cours et le travail de la classe se développent librement à partir des directions indiquées. Il est souhaitable qu’elles soient autant que possible toutes prises en compte, mais le professeur est le seul responsable de l’ordre qu’il retient et de l’ampleur qu’il accorde à chaque partie.

 Ce programme a également la fonction d’un référentiel . Il vise à fournir une norme commune à l’ensemble des expériences de l’académie.

 Les exercices proposés aux élèves sont laissés à l’initiative du professeur, qui les adaptera à chaque situation, en ce qui concerne leur forme et leur rythme. Il pourra s’inspirer librement de la circulaire sur “ le travail des élèves ” (n0 77-417 du 4novembre 1977).

 Dans la mesure du possible, le professeur de philosophie assure le suivi de stage de ses élèves dans les mêmes conditions que les professeurs d’enseignement général.

 Les élèves tiennent un carnet de bord dans lequel ils consignent, de manière synthétique, ce qui leur paraît digne d’être retenu de chaque séance de travail comme de leurs initiatives individuelles. À la fin de l’année, ce carnet de bord fait l’objet d’une présentation, si possible devant trois examinateurs (un professeur d’enseignement général, un professeur d’enseignement professionnel, le professeur de philosophie).

 L’attribution du certificat d’enseignement philosophique se fonde sur cette évaluation.