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Bulletin interne du GREPH, mai 1990

Le GREPH acteur important des débats, ne serait-ce que par sa proximité avec Jacques Derrida qui l’avait fondé en 1975, revient dans ce bulletin de mai 1990 sur le débat autour des propositions de la Commission Derrida-Bouveresse. Il démonte les mensonges et manipulations du front conservateur (APPEP, Collectif) et revient sur son argumentaire ahurissant.

mardi 1er mai 1990, par Acireph, Serge Cospérec

[Les extraits présentés ici forment 3 des 11 pages de ce bulletin de mai 1990. Le GREPH fait le bilan des débats et livre une analyse critique et documentée de l’argumentaire du front conservateur. Cet argumentaire simpliste mais efficace forme un discours stéréotypé sur l’enseignement de la philosophie qui devient dans la décennie, sous l’impulsion de l’Inspection Générale de Philosophie, la doctrine pédagogique officielle] 

 GREPH groupe de recherches sur l’enseignement philosophique

PHILOSOPHIE DES MAÎTRES... OU PÉDAGOGIES DE LA PHILOSOPHIE ?

[ EXTRAIT où l’on voit l’APPEP déclarer péremptoirement que l’enseignement de la philosophie en amont de la terminale est « indéfendable » et revendiquer le libéralisme le plus échevelé en matière des programmes… par où on mesure que la liberté des professeurs n’est pas forcément celle des élèves et l’APPEP moins républicaine qu’elle ne le croit]

« Quelles que soient les suites que les instances à pouvoir de décision voudront lui donner, le Rapport de la Commission de Philosophie et d’Épistémologie, co-présidée par Jacques Bouveresse et Jacques Derrida, aura au moins produit dans le microcosme corporatiste un bel effet de pavé dans la mare...

Dès l’annonce dans la presse de la constitution de cette Commission, et sans attendre d’autre information, l’Association des Professeurs de Philosophie de l’Enseignement Public manifestait prévention et hostilité, […]

Et ce fut constamment ensuite, dans la Revue de l’Association, ’L’Enseignement Philosophique’, l’orchestration de toute une campagne de propagation de ’rumeurs’, d’insinuations malveillantes, d’amalgames et de procès d’intention éditoriaux, articles, et publication de lettres ouverte stéréotypées, à ’Jacques Derrida’ pour lui ’rappeler’ comminatoirement les ’quelques principes’ qui ’doivent guider les travaux de la Commission’, à savoir : ’Le programme de philosophie doit subordonner l’histoire de la Philosophie au philosopher, et les auteurs aux notions. Le programme doit être libéral dans sa conception, afin que le professeur garde toujours l’initiative du choix des problématiques et des auteurs. Le programme ne doit témoigner d’aucune subordination à un auteur ou à un courant philosophique particulier, passé ou présent... Théoriquement acceptable, l’enseignement de la philosophie en amont de la classe terminale, en seconde et en première, est pratiquement indéfendable...’

 

En octobre 89 […] le Bureau national de l’Association[…] distribuait […]un fascicule de ’documentation critique’, destiné à ’alerter l’ensemble de nos collègues’, mais, bien sûr, non accompagné de la citation intégrale du texte critiqué...

Il s’agissait, en fait, d’un véritable libelle de désinformation et d’intoxication de l’opinion, présentant, à coup d’amalgames de citations tronquées, interverties et isolées du contexte, une caricature stupéfiante des propositions de la Commission, visant manifestement à susciter un tollé chez les profs de philo, et à fausser par avance, en provoquant a priori la prévention indignée et le rejet, toute lecture ultérieure de l’intégralité du Rapport sous sa forme authentique, de manière à étouffer dans l’œuf ce vrai débat que les auteurs du Rapport incriminé avaient précisément, très explicitement, voulu contribuer à instaurer.[…] » 

 

[ EXTRAIT où l’on voit l’effet d’une opinion des « philosophes » savamment préparée par les propagandistes du front conservateur ; l’APPEP rééditera l’exploit au moment des programmes Renaut ]

« Le GREPH avait invité […] les enseignants de philosophie de la région parisienne à une première réunion d’information, d’étude et de libre discussion, à partir d’une lecture critique de ce Rapport. […] Mais force a bien été de constater l’efficacité de l’opération de diffusion du fascicule de ’documentation critique’ rédigé par les dirigeants du Bureau national de l’Association des Professeurs de Philosophie, puisqu’on retrouvait, d’entrée de jeu, formulées presque mot pour mot en les mêmes termes, les principales allégations de cet aide-mémoire ’critique’ dans le discours d’intervenants très sincèrement émus, et pourtant censés avoir pris la peine de lire le texte intégral du Rapport, qui leur avait été envoyé... […] »

 

[ EXTRAIT où l’on voit comment se forge l’opinion des « philosophes » ]

Il est intéressant d’étudier les ’arguments’ de la réaction conservatrice aux propositions du Rapport Bouveresse-Derrida en comparant les trois textes majeurs en lesquels elle s’est progressivement affirmée : d’abord, le fascicule du Bureau de l’Association (octobre 89) ; puis un article de Guy Coq dans ’Esprit’ (janvier 90) ; enfin, un ’Appel’ à signature, émanant d’un ’Collectif pour l’Enseignement Philosophique’, qui a d’abord circulé à partir de janvier (avec des airs de constitution d’un réseau de résistance...), avant d’être finalement publié (avec des modifications de formulation non négligeables) dans le n° 4 (mars-avril 1990) de ’L’Enseignement Philosophique’.

Les rédacteurs du fascicule, ignorant apparemment ce que c’est qu’une relation logique d’inclusion, accusent la Commission de renforcer et institutionnaliser ’une dichotomie qu’il s’agirait au contraire d’éviter’ entre le savoir et la réflexion, et parlent d’une ’scission’ ruineuse aussi bien philosophiquement que pédagogiquement. Autrement dit, ils n’estiment pas seulement que ’reproduire un résumé de dix lignes sur Socrate ou sur l’abstraction’ n’est nullement, ’bien au contraire’ (sic), ’avoir fait preuve, si peu que ce soit de philosophie’ (ce qu’on peut évidemment - au ’bien au contraire’ près... - facilement leur accorder), mais aussi (si l’on suit la logique de leur postulat dichotomique...) que la dissertation serait pure ’réflexion’ en toute ignorance ! Étrange aveu de la ’dérive’ de la ’Philosophie des Professeurs’ en une logomachie du N’importe-Quoi... Et quelle étonnante conception de ’l’unité’ de l’épreuve de philosophie que celle qui se manifeste ainsi en l’exclusion du savoir ! (Car, qui donc, ici, oppose, et non pas dichotomiquement, mais exclusivement lesavoir et la réflexion ?!). Mais, au moins, la Commission n’est pas encore explicitement accusée de vouloir purement et simplement remplacer la ’Dissertation’ par un QCM pour l’obtention du baccalauréat...

Le pas commence à être franchi dans l’article de Guy Coq, qui mérite d’être intégralement cité : ’La seconde disposition absurde est de prévoir une interrogation écrite d’une heure (sur les quatre heures de l’épreuve). Faut-il croire que l’alliance de certains responsables avec les éditeurs va plus loin que ne le supposait Hélène Huot (dans son livre La Jungle des manuels scolaires) ? Car cette épreuve est définie de telle sorte qu’il suffira cette fois-ci de réciter par cœur les paragraphes des aide-mémoire pour être un philosophe génial au bac ! Pourquoi ne pas imaginer, tout de suite, des QCM ? Ce serait plus clair.’

Non seulement le même terme ’épreuve’ est utilisé de manière à induire la confusion entre le tout et la partie ; non seulement l’insinuation (insidieusement diffamatoire...) de connivence entre les membres de la Commission et les éditeurs de manuels scolaires témoigne d’une autre confusion que fait Guy Coq entre les adversaires qu’il vise et les gens avec lesquels il fait ici alliance ; mais affirmer qu’il ’suffira’ désormais de réciter par cœur les paragraphes des aide-mémoire pour être ’un philosophe génial’ au bac relève de la confusion, non seulement entre la partie et le tout, mais aussi entre le nécessaire et le suffisant...

Il devrait être clair (et l’on rougit d’avoir à dire ça à des collègues profs de philo...) qu’il ’suffirait’ : a) de choisir convenablement le coefficient attribué aux réponses au Questionnaire pour éviter que ça ’suffise’ pour avoir la moyenne en ’philo’ ; b) de poser intelligemment les questions, de telle sorte qu’il faille quelque peu réfléchir pour y répondre correctement, pour s’assurer que, même si le candidat récite quelque chose appris par cœur (et quel mal y a-t-il à cela ? Ne soyons pas hypocrites !), il le fait à bon escient et prouve qu’il a compris ce que ça veut dire. Et l’existence de cette partie de l’épreuve inciterait les candidats à travailler : il est pédagogiquement très important de convaincre les candidats que l’épreuve de ’philo’, ça n’est pas la ’loterie’, et que le travail (quel qu’il soit...) est ’payant’...

 

Quant à l’ ’Appel’ du ’Collectif pour l’Enseignement Philosophique’, après avoir formulé en ’principe’ que : ’En philosophie, la connaissance véritable est irréductible à la simple ’information’, et que : ’Elle a partie liée avec le temps que requiert la pensée en acte’, il affirme, sans autre précision, que ’Des épreuves d’une heure, en forme de questionnaire, dériveraient presque inéluctablement vers la doxographie, voire les QCM.’, donnant ainsi à croire, à qui n’aurait pas lu le texte du Rapport (et ceux qui ont néanmoins signé cette pétition sont plus nombreux qu’on oserait le penser...), qu’il y est proposé de substituer ’des épreuves d’une heure, en forme de questionnaire’ aux dissertations pour l’obtention du baccalauréat...