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Des Q.C.M en philosophie ?

Atelier animé lors des Journées d’étude 2019 de l’ACIREPh

vendredi 22 novembre 2019, par Admin

Compte-rendu de l’atelier animé sur ce sujet lors des JE 2019 de l’acireph, en tenant compte des précieuses contributions des participants, que je remercie encore.

Nous parlons naturellement des Questionnaires à Choix Multiples (QCM).

Commençons par quelques objections courantes :

  1. « Les QCM ne font pas réfléchir » ;
  2. « les QCM ne demandent pas de rédaction » ;
  3. « en philosophie, aucune réponse n’est vraie ou fausse, tout est discutable. »

« Les QCM ne font pas réfléchir ». C’est faux. Il serait certes possible de construire des QCM qui ne demandent qu’un simple rappel de connaissances, mais il est possible aussi d’en construire qui exigent de la déduction et de la finesse. Ainsi, par exemple, une des questions du concours Kangourou, un concours scolaire de mathématiques [1], tombée en 1997 pour les collèges :

Cinq personnes sont assises autour d’une table ronde. Chacune affirme à son tour : « Mes deux voisins, de droite et de gauche, sont des menteurs ». On sait que les menteurs mentent toujours et que quelqu’un qui n’est pas menteur dit toujours la vérité. De plus tout le monde connaît la vérité en ce qui concerne ses deux voisins. Combien y a-t-il de menteurs à cette table ?
A) 2 B) 3 C) 4 D) 5 E) On ne peut pas le savoir

Nous verrons que, mutatis mutandis, de telles questions sont envisageables en philosophie.

« les QCM ne demandent pas de rédaction ». C’est évidemment vrai. Reste à savoir à quel point c’est une objection. Devons-nous admettre qu’il n’est pas d’activité philosophique sans rédaction ? Si oui, les QCM ne peuvent avoir qu’un rôle auxiliaire en philosophie. Ce n’est pas une raison pour en bannir l’utilisation. Par ailleurs, il est peut-être regrettable que la réussite en philosophie repose en si grande partie sur l’habileté à rédiger. La rédaction se prête aussi au bavardage stérile comme à la simple restitution non réfléchie de connaissances, nous le savons bien. Tout en reconnaissant que la rédaction est une dimension essentielle de l’activité philosophique, nous pouvons admettre que d’autres exercices et donc d’autres compétences puissent y trouver leur place.

« En philosophie, aucune réponse n’est vraie ou fausse, tout est discutable » Cette 3ème objection est discutable, comme elle l’indique elle-même. Tout dépend des questions. Par ex, est-il cohérent avec la philosophie morale de Kant, d’autoriser le mensonge s’il peut améliorer le bonheur de la majorité ? Non. Il existe un certain consensus des spécialistes de cet auteur pour affirmer que non, et c’est ce consensus qui est enseigné à l’université. Il est donc possible de proposer des réponses vraies et fausses sur ce genre de question. Passons maintenant aux questions discutables. J’utilise beaucoup les QCM pour l’analyse d’extraits de texte, en proposant différentes phrases plus ou moins cohérentes avec le texte. Même dans le cas où au moins deux phrases (donc deux choix possibles) seraient admissibles, le simple fait, pour l’élève, de devoir choisir entre elles, éventuellement en discutant ses hypothèses de lecture avec un.e camarade, constitue déjà un exercice passionnant et très formateur. La discussion peut ensuite être menée collectivement en justifiant les choix préférables et en expliquant les contresens éventuels. Nul besoin d’affirmer qu’une seule réponse est correcte et les autres fausses. Il suffit d’indiquer une classement des phrases selon leur cohérence avec le texte.

Les avantages généraux des QCM

  • Comme les QCM sont rapides à corriger, surtout en version numérique (voir en fin d’article pour quelques outils [2]), on peut en donner beaucoup et proposer rapidement les bonnes réponses. Or on sait [3] que les tests sont un moyen très efficace d’apprendre, surtout s’ils sont corrigés rapidement.
  • La nécessité de distinguer et de choisir entre plusieurs propositions souvent proches est susceptible de développer l’esprit de finesse.
  • L’évaluation d’un QCM, lorsqu’elle est pertinente (ce n’est pas toujours le cas), n’est pas aussi subjective que l’évaluation d’un texte écrit.
  • Dans certaines conditions, les QCM suscitent une implication extraordinaire des élèves. Il arrive de voir des élèves, qui semblaient auparavant peu intéressés, se passionner pour la défense de « leur » réponse à un QCM. 

Les limites générales et les points à surveiller
En philosophie, il me semble rarement pertinent d’utiliser les QCM comme simple outil d’évaluation. Dans tous les cas, il faut commencer par des questions très faciles pour que les élèves soient mis en confiance. Les QCM peuvent effrayer certains élèves habitués à tâtonner dans leurs écrits. Les résultats à un QCM suscitent une impression de vérité qui rendent les échecs encore plus difficiles à accepter. Il est important d’indiquer les mauvaises réponses, quand il y en a, rapidement, afin d’éviter de les ancrer en mémoire.

La construction d’un QCM est une tâche difficile pour laquelle l’expérience est indispensable. Il faut tester les questions à plusieurs reprises pour détecter celles qui sont ambiguës ou qui prêtent à confusion, et bien choisir les « distracteurs » (mauvaises réponses).

Une première utilisation des QCM en philosophie : l’analyse d’extraits de textes

Un premier exemple

Dans la pratique, on peut donner un tel QCM après la découverte du texte par les élèves, texte caché si l’on veut solliciter en plus la mémoire. Cela permettrait de préparer une explication de texte. Mais donner les questions après la rédaction d’une explication peut aussi être intéressant pourvu que les élèves aient la possibilité de revenir sur leur travail.

On pose la question de savoir si l’homme est par nature moralement bon ou mauvais. Il n’est ni l’un ni l’autre, car l’homme par nature n’est pas du tout un être moral, il ne devient un être moral que lorsque sa raison s’élève jusqu’aux concepts du devoir et de la loi. On peut cependant dire qu’il contient en lui-même à l’origine des impulsions menant à tous les vices, car il possède des penchants et des instincts qui le poussent d’un côté, bien que la raison le pousse du côté opposé. (...)

Kant, Traité de Pédagogie
Question possible : Une des phrases suivantes est en accord avec le texte. Laquelle ?

  1. L’Homme par nature est moralement mauvais.
  2. L’Homme par nature est moralement bon.
  3. L’Homme par nature n’est pas moralement mauvais.
  4. L’Homme par nature ne possède pas la Raison.

La discussion avec la classe fera voir que :

  • « il n’est ni l’un ni l’autre » élimine les choix 1 et 2.
  • le choix 1 est souvent fait, et correspond à un contresens fréquent dans les explications de textes, qui s’explique par une lecture hâtive du texte.
  • Les 2 occurrences du mot raison indiquent que la raison est bien présente dès l’origine donc vraisemblablement dans l’Homme par nature. Mais la discussion soulignera que cette raison a besoin de « s’élever », ce qui constituera un sujet de réflexion pour l’explication de texte.
  • Le choix 3 est correct, mais on aurait pu y remplacer « mauvais » par « bon ».

Cet exemple montre une manière simple de construire les questions : il faut proposer des contresens possibles, et mettre en relation des expressions différentes du texte (ici : « par nature » et « à l’origine »).

Un deuxième exemple

Voici en quoi nous différons des Mégariques : notre sage est invincible à toutes les disgrâces, mais il n’y est pas insensible, le leur ne les sent même pas. Le point commun entre eux et nous, c’est que le sage se suffit : toutefois il désire en outre les douceurs de l’amitié, du voisinage, du même toit, bien qu’il trouve en soi assez de ressources. Il se suffit si bien à lui-même, que souvent une partie de lui-même lui suffit, s’il perd une main par la maladie on sous le fer de l’ennemi. Qu’un accident le prive d’un œil, il est satisfait de ce qui lui reste : mutilez, retranchez ses membres, il demeurera aussi serein que quand il les avait intacts. Les choses qui lui manquent, il ne les regrette pas ; mais il préfère n’en pas être privé.

Sénèque Lettre IX à Lucilius

Le sage que décrit Sénèque (« notre sage ») regretterait-t-il la perte d’un ami ?

  1. oui, car il « il désire (...) les douceurs de l’amitié »
  2. oui, car il a besoin des « douceurs de l’amitié »
  3. non, car il est « insensible » « à toutes les disgrâces »
  4. non, car « les choses qui lui manquent, il ne les regrette pas ».

Dans cette question, la difficulté me semble être de généraliser l’exemple des membres mutilés à tout ce qui peut manquer au sage, y compris les amis, alors que le terme « choses » peut sembler exclure les personnes.

Le QCM est construit en croisant une proposition et ses justifications possibles. Il permet de souligner auprès des élèves qu’en philosophie, les raisons pour lesquelles on soutient une proposition sont parfois aussi importantes que la proposition elle-même.

Un 3è exemple : lecture de texte, ou contrôle de connaissances
Ces questions suivraient la lecture des Méditations Métaphysiques 1 et 2 de Descartes. Elle pourraient aussi arriver après un cours sur ce même texte.

Question 1 Dans ce texte, Descartes raconte qu’il avait décidé de douter de tout car :

  1. il pensait que la vérité n’existait pas ;
  2. il voulait éviter l’erreur ;
  3. il était certain qu’il était en train de rêver ;
  4. il était devenu fou

Question 2 Même s’il doute de tout, Descartes reconnaît que :

  1. forcément il est un être humain
  2. forcément il a un corps qui existe
  3. forcément il pense

Les QCM comme contrôle de connaissances.

Les exemples précédents peuvent être convertis en contrôle de connaissances, par exemple, la séance suivante, ou même pendant une séance, pour réactiver les notions étudiées auparavant.

Un exemple simple peut être celui-ci :

Question : dans la phrase : « J’ai envie d’aller me promener, donc je veux trouver mes baskets » ?

  1. trouver mes baskets est une fin subordonnée et aller me promener est une fin souveraine
  2. aller me promener est une fin subordonnée et trouver mes baskets est une fin souveraine

Certains des repères du programme de 2003 se prêtent assez bien à de pareilles questions.

Les questions peuvent porter sur des sujets qui ne sont pas directement philosophiques, comme la logique. Par exemple :

Question : le raisonnement suivant est-il valide ?

Tout nombre divisible par 4 est divisible par 2
Or 13 n’est pas divisible par 4


Donc 13 n’est pas divisible par 2
  1. Oui
  2. Non

Et après ?
L’atelier se terminait par la rédaction de questions possibles sur ce texte extrait du Traité Théologico-Politique de Spinoza :

On pense que l’esclave est celui qui agit par commandement et l’homme libre celui qui agit selon son bon plaisir. Cela cependant n’est pas absolument vrai, car en réalité être captif de son plaisir et incapable de rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c’est le pire esclavage, et la liberté n’est qu’à celui qui de son entier consentement vit sous la seule conduite de la raison. Quant à l’action par commandement, c’est- à-dire à l’obéissance, elle ôte bien en quelque manière la liberté, elle ne fait cependant pas sur-le-champ un esclave, c’est la raison déterminante de l’action qui le fait. Si la -n de l’action n’est pas l’utilité de l’agent lui-même, mais de celui qui la commande, alors l’agent est un esclave, inutile à lui-même (. . . ). De même les enfants, bien qu’ils soient obligés d’obéir à tous les ordres de leurs parents, ne sont pas tenus pour esclaves, parce que les ordres des parents ont surtout pour but l’intérêt des enfants.

J’espère avoir convaincu le lecteur que les QCM ne méritent pas le mépris dans lequel certains esprits, par manque d’imagination, les tiennent.

François Meyer, avec le concours des participants aux JE 2019 de l’acireph.


[2j’utilise plickers, qui permet de réaliser des QCM en classe en scannant des cartes-réponses, mais il existe une multitude d’autres systèmes

[3C’est une des lois les mieux vérifiées de la littérature scientifique sur l’apprentissage : voir par ex Roediger & Karpicke, 2006 Test-Enhanced Learning Taking Memory Tests Improves Long-Term Retention