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Communiqué sur les projets de programmes définitifs du Conseil supérieur des programmes

dimanche 26 mai 2019, par Acireph

DES PROGRAMMES DANGEREUX ET IMPOSÉS DE MANIÈRE AUTORITAIRE

Des programmes infaisables et inassimilables pour des élèves qui ne pourront pas être préparés à l’épreuve de philosophie du baccalauréat

La philosophie au bac est une catastrophe ? Les enseignants ne savent pas comment y préparer leurs élèves ? Ceux-ci s’en désespèrent ? C’est à ces questions qu’ont tenté de répondre, depuis 30 ans, les divers projets de programmes. L’ensemble des experts et acteurs, malgré leurs désaccords, convenaient que l’enjeu était de tout programme de philosophie était de concilier la nécessaire détermination des savoirs à acquérir, une limitation raisonnable des programmes, et, d’autre part, la non moins nécessaire liberté philosophique et pédagogique des professeurs de philosophie.

Cet acquis de 30 ans de réflexion collective, Mme Souâd Ayada vient de le rayer d’un trait de plume, en proposant autocratiquement que les programmes se réduisent désormais à une simple liste alphabétique de notions qui, comme telle, autorise au baccalauréat une diversité si illimitée de sujets qu’il est impossible aussi bien à l’élève de s’y préparer qu’au professeur d’y préparer ses élèves. En effet, cette succession de mots (l’art, le bonheur, la culture, le désir, etc.) autorise toutes les interprétations, toutes les associations possibles et donc tous les sujets, sans limitation aucune. Autant dire que rien n’est hors programme.

Prenons un exemple. Un inventaire non exhaustif des sujets du bac concernant l’art, donnés depuis 30 ans, fait apparaître que les candidats sont censés pouvoir maîtriser près d’une quinzaine de problématiques différentes, si l’on attend d’eux autre chose qu’un bavardage, à savoir : 1° la nature de l’œuvre d’art (« Qu’est-ce qui distingue une œuvre d’art d’un objet quelconque ? »). 2° La spécificité du plaisir esthétique (« En quoi consiste le plaisir que procure une œuvre d’art ? »). 3° Les critères du goût (« Peut-on reprocher une faute de goût ? »). 4° Le beau (« La beauté est-elle dans le regard ou dans l’objet regardé ? 5° L’utile (« Peut-on dire de l’art qu’il est à la fois superflu et pourtant nécessaire ? »). 6° Le statut de l’artiste (« Le génie de l’artiste exclut-il tout apprentissage ? »). 7° Les rapports de l’Art et de la nature (« L’art n’est-il qu’une imitation de la nature ? »). 8° Les rapports de l’Art et de la réalité (« L’art nous détourne-t-il de la réalité ? »). 9° Les rapports de l’Art et du langage (« Est-il satisfaisant de définir l’art comme une forme de langage ? »). 10° Les rapports de l’Art et de la vérité (« L’œuvre d’art nous met-elle en présence d’une vérité impossible à atteindre par d’autres voies ? ») 11° Les rapports de l’Art et de la technique (« Qu’est-ce qui distingue la création artistique et l’invention technique ? »). 12° Les rapports de l’Art et de la société (« Dans quelle mesure l’art est-il un fait social ? »). 13° Les rapports de l’Art et de l’histoire (« L’œuvre d’art dépend-elle de son temps ? »). 14° Les rapports de l’Art et de la morale (« La beauté est-elle un symbole de moralité ? »). La même observation peut être faite sur toutes les notions, la notion d’art n’étant pas la plus polysémique de toutes.

Un tel programme prétend garantir la liberté philosophique des professeurs, mais accomplit en réalité l’inverse : ce n’est pas parce qu’un programme est indéterminé qu’il offre davantage de liberté. Au contraire : plus il est centré sur quelques problèmes précis à étudier, sur lesquels les candidats à l’examen pourront être évalués, plus les professeurs ont de temps et de latitude pour approfondir et diversifier les approches philosophiques avec leurs élèves.

L’ACIREPh avait fait des propositions constructives pour réduire drastiquement les programmes : celles-ci sont évidemment discutables, mais elles émanent des professeurs et doivent être entendues.

Un recul démocratique et une perte de crédibilité très lourde de la valeur formatrice de notre enseignement

Pourquoi la suppression de tout cadre ? Pourquoi la suppression de toute structuration ? Pourquoi une liste de mots classés par ordre alphabétique ?

L’étude d’une notion doit-elle permettre à l’élève de penser de façon autonome le jour de l’examen sur n’importe quel problème ayant trait d’une manière ou d’une autre à cette notion, même et surtout s’il n’a jamais rencontré ce problème auparavant ? Telle est la prétention exorbitante, baptisée philosophie, de ce projet. Les adeptes de la génialité philosophique devraient se rappeler qu’aucun d’entre eux, qu’aucun d’entre nous non plus, n’a jamais été capable de penser de façon autonome sur un sujet qu’il n’avait pas préalablement étudié auprès des philosophes et d’autres sources. L’aptitude au bavardage brillant sur un problème dont on ignore tout ce qu’il a de spécifique serait-elle, encore de nos jours, le modèle auquel doivent tendre nos élèves, et que nous devons mettre en scène devant eux ?

La philosophie est déjà l’une des disciplines les plus socialement discriminantes en raison du flou de ses programmes, de ses attendus à l’examen, de ses critères d’évaluation. Ces nouveaux programmes aggraveront la situation : plus lourds, illimités, ils accentueront le caractère inégalitaire de la philosophie au lycée. Dans la voie générale, vingt-et-une notions à traiter, aussi bien en elles-mêmes que dans leurs possibles articulations aux autres, en une trentaine de semaines effectives de cours par année scolaire, à raison de quatre heures hebdomadaires : comment imaginer sérieusement que cela soit possible ?

Ces programmes sont, en effet, sourds aux demandes et aux besoins des élèves. Leur indétermination est contraire à la démocratisation de la philosophie ; car l’étendue des problèmes à aborder pour une seule et même notion est beaucoup trop vaste relativement à ce qu’un cours sérieux peut apprendre à un élève sérieux. Celui-ci pourra donc toujours tomber, à l’examen, sur un sujet pour lequel il n’a pas été armé, pour lequel il n’a que des connaissances vagues à mobiliser, voire aucune. Nous ne connaissons que trop bien le résultat : des professeurs qui craignent chaque année, la veille du baccalauréat, que leurs élèves n’aient pas les outils adéquats pour traiter les sujets ; des élèves sérieux et travailleurs qui obtiennent des notes médiocres, voire infamantes ; un capital culturel et linguistique, acquis en dehors de l’École et connu pour n’être pas le mieux socialement partagé, qui permet à une minorité d’élèves de briller ; le sentiment généralisé d’une loterie et d’une distorsion entre le travail de l’année et les sujets de l’examen.

Ce projet témoigne d’une absence de sérieux et d’un mépris envers les élèves et les professeurs. Par son refus de prendre en compte les conditions réelles de l’enseignement philosophique, il ne peut qu’aggraver la crise qui le traverse.

Cette situation doit cesser. La philosophie au lycée mérite un vrai programme, moins lourd et clairement délimité, qui rende possible sa démocratisation, c’est-à-dire un enseignement exigeant et formateur pour tous les élèves. L’ACIREPh demande au Ministère de l’éducation nationale de tenir compte de cette exigence dans l’élaboration des programmes définitifs.

Des programmes élaborés de façon autocratique par la présidente du Conseil supérieur des programmes

L’autonomie du groupe d’élaboration des projets de programmes (GEPP) a été niée par la présidente du Conseil supérieur des programmes (CSP), Mme Souâd Ayada. Aucune rencontre n’a pu avoir lieu entre le GEPP et les associations de professeurs, en contradiction avec la Charte réglementaire du CSP qui prévoit que les GEPP, ’dans le cadre de leurs travaux, consultent les spécialistes et partenaires dont l’expertise leur paraît utile’. L’ACIREPh n’a eu de cesse de dénoncer cette situation. Pour finir, après que le GEPP a présenté son projet au CSP le 15 mai, c’est un revirement sans précédent dans l’histoire des programmes de philosophie qui a lieu le 17 mai : une version complètement transformée, défigurée, est publiée sur le site du CSP. En seulement deux jours, on a donc vu torpillé un an de travail d’un groupe d’experts dont la présidente du CSP avait pourtant elle-même nommé les membres, sans la moindre considération pour les critiques et propositions des associations de professeurs de philosophie, qui savent très bien qu’une liste alphabétique n’est pas un programme. Les quelques timides garde-fous qui limitaient l’étendue possible des sujets du baccalauréat ont sauté.

Dans l’histoire pourtant mouvementée des programmes de philosophie, jamais on n’avait connu un tel autoritarisme, ni une telle négation de toute délibération sérieuse et collective.

L’ACIREPH condamne fermement cette gouvernance dirigiste et autoritaire de Mme Souâd Ayada et estime que le ministre de l’Éducation nationale ne peut laisser le dernier mot à une confiscation à ce point autocratique de l’enseignement de la philosophie.