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Communiqué sur le sujet du bac 2017

Communiqué sur le sujet d’explication de texte donné à l’épreuve de philosophie du baccalauréat, en série scientifique (S), pour la session de juin 2017

samedi 17 juin 2017, par Acireph

Communiqué

La stupéfaction, l’accablement ou la colère. C’est ce que de nombreux professeurs ont éprouvé en découvrant le texte de Michel Foucault proposé comme troisième sujet au baccalauréat de philosophie 2017 en série scientifique (métropole). Qui peut sérieusement croire qu’un élève de série S, après quelques mois de philosophie, est en mesure de comprendre et d’expliquer un texte si allusif, connoté et obscur ? Ce sujet sape tous les efforts qui auraient été fournis, tant par les élèves que par leurs professeurs, pour apprendre à expliquer philosophiquement un texte. Beaucoup d’élèves se demanderont : pourquoi faire des efforts en philosophie ? Aggravant le préjugé qu’en « philo, c’est la loterie ».

Pour ne pas pénaliser les candidats, les correcteurs sont par avance condamnés à mettre la moyenne à de laborieuses paraphrases n’ayant rien ou pratiquement rien saisi du sens et des enjeux du texte. On voudrait tourner en ridicule l’épreuve de philosophie du baccalauréat ou achever de la déconsidérer qu’on ne s’y prendrait pas autrement, et cela, au moment même où s’annonce une réforme des épreuves du baccalauréat.

Mais il y a plus. Le décalage ahurissant et manifeste entre la réalité des classes et la représentation qu’en ont, semble-t-il, ceux qui ont testé, choisi et validé le choix d’un tel sujet, témoigne de graves et persistantes défaillances dans la procédure de choix des sujets. Certes, il y a eu des améliorations, mais de tels égarements se répètent d’année en année. Ils sont d’autant plus graves qu’avec des sujets nationaux la moindre erreur d’appréciation affecte aussitôt des centaines de milliers de candidats.

L’ACIREPh s’adresse à l’Inspection générale de philosophie et lui demande d’œuvrer, dans l’intérêt de tous, à la réforme des procédures d’élaboration et de choix des sujets. Les conditions des test qui permettent d’évaluer la faisabilité des sujets doivent être révisées. L’ACIREPh a aussi proposé que les commissions de choix de sujet procèdent à une justification écrite de leurs choix et qu’un rapport de correction du baccalauréat, nourri des observations et réflexions des commissions d’entente et d’harmonisation, soit publié chaque année. Ces deux éléments permettraient l’élaboration progressive d’une jurisprudence très utile à la communauté des professeurs de philosophie correcteurs au baccalauréat.

Remarques complémentaires

L’extrait donné s’inscrit dans un texte de présentation de la pensée du directeur de thèse de Foucault : le philosophe Georges Canguilhem. Il s’agit d’un texte qui présente des thèses centrales de la pensée d’un autre auteur que le signataire du texte : première information secrète, dont le candidat n’avait pas connaissance. L’introduction rédigée par Foucault, dont est extrait le passage, est destinée à la traduction anglaise du Normal et du pathologique, ouvrage majeur de Canguilhem. En lisant ce texte, on voit clairement que les destinataires sont, au vu de l’ambition et de la densité du texte, des personnes disposant d’une très solide culture en histoire et philosophie des sciences (sont cités Althusser, Bourdieu, Castel, Passeron, la psychanalyse, Bachelard, Cavaillès, Mendelssohn, Kant, Descartes, Luther, Leibniz, Fontenelle, Koyré et Kuhn). Cette longue liste signale à quel niveau de connivence de culture philosophique Foucault suppose son lecteur. Pour parler de manière concrète de science, et ne pas rendre son discours trop désincarné, Foucault sollicite les exemples suivants : la physiologie des enzymes, les travaux de Willis et Prochaska sur le « réflexe », une remarque de Lwoff sur les mutations génétiques, etc. Bienvenue aux candidats du bac dans le monde merveilleux de la philosophie des sciences universitaire !

Voilà dans quel contexte débarque l’extrait que le malheureux candidat doit expliquer. C’est pourquoi, extraire quelques lignes d’un tel texte est déjà en soi un pari absurde. Mais pire encore : il faut au moins deux pages antérieures au passage sélectionné pour arriver « dans » le texte choisi pour le bac en sachant de quoi on parle. Sans aucun exemple (en même temps, il n’est pas sûr que la simple allusion à telle théorie scientifique, régime d’écriture dans lequel se situe Foucault dans cette introduction, aurait beaucoup parlé au candidat), le candidat doit affronter un texte qui déploie la fin d’un raisonnement débuté depuis deux pages en amont – d’où le côté très affirmatif du texte, et peu argumentatif : le gros de l’argumentation est ailleurs, il est avant l’extrait.

À titre d’exemple, la signification du rapport entre le concept et la vie, donnée deux pages plus tôt, est indispensable pour comprendre la très mystérieuse formule au cœur du texte. Cette formule, qui plus est, comprend l’expression « cet aléa » : or, l’adjectif démonstratif « cet » renvoie à un aléa décrit plusieurs lignes avant le début de l’extrait : le candidat ne peut donc absolument pas savoir de quoi parle Foucault quand il évoque « cet aléa ». Mais il se trouve cependant sommer de proposer une interprétation, qui ne pourra être que fautive s’il cherche au sein du texte (car il ne peut faire autrement) à quoi renvoie l’expression.

Voilà la situation ubuesque où de tels choix irresponsables nous mènent : ce texte, de nombreux enseignants de philosophie ne le comprennent pas. Ce texte, les correcteurs qui vont devoir lui attribuer une note sur 20 transpirent et s’accrochent pour être sûr de l’avoir vraiment compris.

Le dilemme est le suivant : soit on prend au sérieux la (très hypocrite) consigne « la connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise », et on se risque, en tant que correcteur, à devoir attribuer une note à une explication d’un texte dont on ne comprend pas soi-même le sens ; soit on veut pouvoir se donner les moyens d’évaluer l’explication du candidat à l’aune de ce que veut dire le texte, et on devra pour cela lire les pages en amont de l’extrait, en se mettant dès lors dans une posture de sévérité abusive sur les contresens possibles du candidat (contresens qu’on pourra relever justement parce qu’on a soi-même été lire les pages précédant le passage à expliquer).

Le texte donné en sujet 3, série S

À la limite, la vie, c’est ce qui est capable d’erreur. Et c’est peut-être à cette donnée ou plutôt à cette éventualité fondamentale qu’il faut demander compte du fait que la question de I’anomalie traverse de part en part toute la biologie. À elle aussi qu’il faut demander compte des mutations et des processus évolutifs qu’elle induit. À elle qu’il faut demander compte de cette mutation singulière, de cette « erreur héréditaire », qui fait que la vie a abouti avec I’homme à un vivant qui ne se trouve jamais tout à fait à sa place, à un vivant voué à « errer » et destiné finalement a I’« erreur ». Et si on admet que le concept, c’est la réponse que la vie elle-même donne à cet aléa, il faut convenir que I’erreur est à la racine de ce qui fait la pensée humaine et son histoire. L’opposition du vrai et du faux, les valeurs qu’on prête à l’un et à I’autre, les effets de pouvoir que les différentes sociétés et les différentes institutions lient à ce partage, tout cela même n’est peut-être que la réponse la plus tardive à cette possibilité d’erreur intrinsèque[1] à la vie. Si I’histoire des sciences est discontinue, c’est-à-dire si on ne peut l’analyser que comme une série de « corrections », comme une distribution nouvelle du vrai et du faux qui ne libère jamais enfin et pour toujours la vérité, c’est que, Ià encore, l’« erreur » constitue non pas I’oubli ou le retard d’une vérité, mais la dimension propre à la vie des hommes et au temps de l’espèce.

FOUCAULT, Dits et Écrits (1978)