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Atelier : du programme au cours

Il s’agit de confronter les façons dont nous organisons notre cours de l’année à partir des neuf notions du programme actuel, pour en tirer de nouvelles façons de concevoir le programme des séries technologiques, et proposer des recommandations.

dimanche 28 octobre 2001, par Acireph

Travail issu de l’atelier des journées d’étude d’octobre 2001.
Compte-rendu établi par Christiane Vollaire.
 

Il s’agit de confronter les façons dont nous organisons notre cours de l’année à partir des neuf notions du programme actuel [1], pour en tirer de nouvelles façons de concevoir le programme des séries technologiques, et proposer des recommandations.

L’atelier débute par la présentation successive, par chacun des participants, à travers son expérience et sa pratique, de la manière dont, par le cours, il tente de réaliser les objectifs du programme. Ensuite, à partir de ces présentations, s’organise le débat, à la fois sur les objectifs à atteindre et sur les conditions de réalisation qui sont les nôtres.

Ce compte-rendu ne prétend pas présenter l’intégralité de ce qui a été dit, mais en proposer une synthèse.

 

Tous les participants s’accordent sur la nécessité de se tenir à l’écoute de la réalité de notre public, pour des raisons qui ne sont pas seulement d’ordre moral, mais de simple efficacité : tenter de tenir devant les élèves un discours qui ne les concerne pas, sans faire l’effort d’aller vers eux, c’est courir à l’échec.

Tous s’accordent aussi à reconnaître à la fois la légitimité des demandes des élèves, la valeur de leur effort de réflexion ou la pertinence de leurs interrogations.

Mais cette demande, cet effort et ces interrogations, s’ils peuvent s’exprimer de façon convaincante à l’oral, se confrontent plus difficilement aux exigences de l’écrit, qui ne suppose pas seulement de la spontanéité, mais du travail, de l’exercice, et le respect d’un certain nombre de règles incontournables d’expression, de cohérence logique et d’organisation des idées. Et la culture philosophique, indépendamment même de la référence aux auteurs, est une culture de l’écrit, de la formalisation conceptuelle et argumentative, de la transmission (y compris critique) du discours.

En outre, cette demande, cet effort et ces interrogations des élèves ne sont pas non plus aisément ajustables aux réquisits du programme.

Enfin, même si l’ensemble des terminales technologiques ne constitue pas une unité monolithique, mais au contraire une très grande diversité (d’origines culturelles, de niveaux, de projets professionnels), ils présentent un certain nombre de points communs dont le programme de philosophie, tel qu’il a été élaboré, semble ne pas tenir compte. D’une part la faiblesse de leurs horaires ne permet pas de l’aborder de façon efficace dans sa totalité : on fait remarquer que les deux heures d’enseignement ne permettent, de fait, qu’une heure de cours par semaine, puisque la deuxième heure est censée être une heure d’exercice. D’autre part, la formation initiale des élèves ne les prédispose pas aux exigences d’analyse et d’expression que requiert tout travail philosophique, et cette disposition ne peut être que difficilement acquise avec un aussi mince quota horaire.

 

C’est autour de ces difficultés que s’est organisé l’ensemble de la discussion, montrant que la façon même dont chacun tente d’y remédier oblige à mettre en évidence un certain nombre d’insuffisances dans la conception même de ce programme.

Le passage du programme au cours nécessite un ajustement : celui de la problématisation des notions. Pour cela, plusieurs manières de faire sont proposées :

 

 Partir de la demande brute des élèves : on commence le premier cours de l’année en leur demandant ce qui les intéresse, ce sur quoi ils s’interrogent, ce dont ils aimeraient qu’on discute, ce qui fait problème pour eux dans la réalité de leur existence. Et c’est à partir de leur demande qu’on organisera l’ensemble des cours de l’année, en tentant d’ajuster cette demande aux exigences du programme. Ainsi, sur des thèmes généraux tels que le racisme, le sport, la mort, le futur, la discussion pourra être infléchie vers les notions au programme (droit, nature, histoire, etc.), le cours se construisant à partir de ces discussions.

 

 Partir d’un matériau préalablement choisi, dont on peut penser qu’il les concerne, et à partir duquel on va élaborer une réflexion commune qui permette de traiter les thèmes au programme. Par exemple, on se donne pour objet de réflexion le règlement intérieur du lycée . A partir de là, on pose la question de l’obéissance qui permet, en partant de leur réaction première, d’élaborer une problématique du droit, de questionner le rapport entre raison et liberté, ou entre nature et conscience.

 

 On peut également s’appuyer sur une oeuvre cinématographique (Le Destin de Youssef Chahine pour interroger le rapport entre raison et religion), ou littéraire (Antigone de Sophocle pour interroger la liberté, ou les Fables de La Fontaine pour questionner le droit), ou sur un texte philosophique (le discours de Calliclès dans le Gorgias pour problématiser le rapport du droit à la nature) ; ou sur un questionnement qui retient leur attention ou leur intérêt (le désir, par exemple, qui permet d’aborder la relation raison-conscience-vérité, ou l’objectivité journalistique, qui permet d’aborder la relation histoire-vérité).

 

 Une autre solution consiste à partir des notions elles-mêmes, mais en les regroupant de telle sorte qu’elles constituent trois grandes orientations problématiques : existentielle (conscience, nature, art), épistémologique (raison, technique, vérité) et politique (droit, liberté, histoire). On leur présentera en début d’année ce que signifient ces trois grandes orientations (du point de vue de la recherche de soi, du besoin de comprendre ce qui nous entoure et de la possibilité d’organiser une vie commune). Et la première notion étudiée, quelle qu’elle soit, sera l’occasion d’aborder toutes les autres et de les resituer. Par exemple, à partir de la conscience, on abordera le rapport nature-culture (incluant art et technique), le rapport raison-liberté (incluant droit et histoire) ou la question de l’établissement des vérités.

 

 On peut également partir d’une dimension pluridisciplinaire, pour les faire réfléchir sur la spécificité de l’écriture philosophique par rapport à l’écriture littéraire. Par exemple à partir d’une oeuvre à double statut comme La Nausée de Sartre. Ce qui permet à la fois de leur fournir un bagage culturel, et d’aborder la question de la production artistique. Mais le traitement du programme de notions à partir des oeuvres suppose aussi d’apprendre à organiser ses idées : il est étroitement lié à l’acquisition d’instruments méthodologiques qui leur permettent de s’exercer à la dissertation. Ces acquis méthodologiques seront fournis à partir des notions qui suscitent le plus d’élan ou d’intérêt.

 

 D’où l’idée, pour certains, de commencer toujours par ce qui est le plus attrayant (la question du désir revient ici) pour les mener vers le plus difficile, ou ce qui leur semblait au départ le plus ingrat. Par exemple, l’opposition entre désir et travail va croiser la réflexion sur l’antagonisme et l’interaction entre nature et culture. Il faut pour cela trouver des accroches au cours magistral, à partir par exemple de l’actualité littéraire : Les Particules élémentaires de Houellebecque ont fourni le matériau de base à un cours sur conscience et sujet.

 

 On peut également choisir une notion-pivot, autour de laquelle on fera tourner l’intégralité des autres, et qui servira en quelque sorte de fil rouge toute l’année, pour fournir aux élèves un point de repère conceptuel plus solide. Par exemple, la notion de nature humaine peut constituer un angle d’attaque pour aborder le rapport entre conscience morale et liberté (mais aussi le rapport entre l’inconscient et le libre-arbitre), ou le rapport entre droit et raison pratique, ou le rapport entre nature humaine et technicité. En ce sens, il peut être aussi utile de partir de leur propre production écrite pour lui donner son plein sens et la revaloriser ainsi à leurs propres yeux, en préalable à un travail de réécriture ou de reformulation qui prenne leur discours pour point d’appui.

 

 L’accent a ainsi été mis sur la façon positive de répondre à une exigence institutionnelle. La finalité de l’examen suppose la mise en oeuvre d’un programme ; mais celui-ci doit être à la fois l’occasion et le prétexte à déployer des capacités de problématisation et de réflexion. En ce sens, une solution peut passer par le couplage systématique des notions, qui permet de leur donner une orientation problématique claire et affichée dès le départ : nature/histoire, art/technique, droit/liberté, raison/vérité, conscience/inconscient, etc. Il est légitime qu’il y ait une commande institutionnelle, mais celle-ci doit être adaptée aux réalités de l’enseignement, sous peine de basculer dans une contradiction insoluble.

 

 

Mais cette relation du cours au programme est indissociable de sa mise en oeuvre par l’exercice. Cet atelier a donc été l’occasion de réfléchir à la réappropriation par l’élève du contenu du cours, et de nombreuses difficultés ont été constatées à ce sujet.

D’abord, ce processus de réappropriation suppose du temps. Non seulement celui du cours, mais celui du travail personnel à la maison. Il suppose aussi un véritable entraînement, un exercice, une discipline volontaire ; bref, au sens propre, du travail. Or ce travail de réappropriation est lui-même tributaire du temps consacré en cours à l’exercice collectif de la réflexion et de l’analyse, et celui-ci nécessite, en préalable incontournable, l’allégement du programme. Tous les participants ont constaté à ce propos à quel point l’allégement permis par la mise en oeuvre du nouveau programme en terminale générale a permis un authentique approfondissement non seulement du cours lui-même, mais du travail d’analyse et de réflexion des élèves, à quel point il a été véritablement l’occasion d’une bouffée d’air, de mettre en oeuvre une autre dynamique intellectuelle. C’est cela qu’on peut attendre aussi du nécessaire allégement des programmes en terminales technologiques.

 

Mais il ne suffit pas d’alléger, encore faut-il harmoniser les exigences, plus encore face à des élèves moins préparés par leur cursus antérieur. C’est précisément cela aussi qui justifie l’établissement d’un programme problématisé (à cet égard, le programme de 1969 pourrait constituer un intéressant point de départ).

Nous avons tous en effet constaté chez les élèves un double écueil : soit une ignorance totale du cours (écueil plus grave, puisqu’il témoigne d’une absence totale de travail), qui les conduit à faire de leur travail écrit un alignement de platitudes ou de vérités satisfaites sans le moindre recul analytique ; soit une régurgitation textuelle du cours, qui les conduit à une récitation sans le moindre recul critique.

Dans les deux cas, c’est la faculté de problématisation elle-même qui est inhibée : absence de problématisation d’un côté, impossibilité de sortir de la problématique du cours de l’autre. C’est en ce sens que la réduction de l’indétermination du programme nous paraît indispensable : préciser le champ problématique (qui est originellement infini), c’est donner à l’enseignant un socle sur lequel fonder son contrat de travail avec l’élève ; mais c’est aussi permettre à l’élève d’affiner sa capacité à susciter des problématiques au sein du champ qui lui est ouvert : c’est notre métier de savoir que la limite est la condition même de la pensée. Et c’est de cette manière permettre aux élèves de prendre confiance dans leur capacité réflexive, ou, pour reprendre une expression qui a fait l’unanimité au cours de cette séance : ’restaurer à leurs propres yeux leur capacité conceptuelle’.


[1Il s’agissait alors du programme de 1983 et de ses neuf notions : La nature, L’art, La technique, L’histoire, Le droit, La liberté, La conscience, La raison, La vérité.