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L’enseignement de la philosophie dans le système d’éducation grec

Dimension historique, tendances négatives, réactions, didactique et efficacité

dimanche 1er janvier 2006, par Acireph

Par Dimitris Kiritsis

 

1. Présentation générale de la place qu’occupe le cours de la Philosophie dans l’enseignement secondaire, de la fondation de l’État grec moderne (1830) et jusqu’en 1996.

L’enseignement de la Philosophie fait son apparition dans le premier programme scolaire officiellement établi dès la constitution de l’État grec moderne et publié avec le Décret Royal “Du règlement des Écoles Grecques” le 31.12.1836/12.1.1837. Intitulé Philosophie, ce cursus ne comprend toutefois que de la Logique aristotélicienne accompagnée d’une brève initiation générale à la discipline de la Philosophie et est enseignée pendant deux heures hebdomadaires en dernière (quatrième) classe de l’école, occupant ainsi la dernière place parmi les matières scolaires selon la quantité d’heures de cours hebdomadaires. Il est remarquable que ce programme ne fournit aucune explication pour l’enseignement de cette discipline et aucune instruction ne vient définir le fil conducteur du cursus ni préciser le matériel que les enseignants sont censés d’utiliser, tandis que les méthodes et les objectifs pédagogiques, le matériel et les priorités didactiques des autres disciplines y sont clairement définis.

Deux décennies plus tard, et plus précisément en 1855, le Circulaire №4168 du 31.8.1855 introduit dans les écoles un nouveau programme, où la Philosophie se voit renforcer par la Psychologie Empirique qui est enseignée à raison de deux heures en troisième classe de l’école. La Philosophie continue néanmoins de rester à la dernière place de l’hiérarchie des matières ; toute référence au matériel pédagogique et à la méthodologie d’enseignement est absente de ce programme également.

Par le Décret Royal de 1884, l’apprentissage de la Philosophie est partagé entre la Psychologie Empirique (une heure dans l’avant-dernière classe) et la Logique (aussi une heure, mais en terminale). Enfin, douze ans plus tard, le Décret Royal de 1896 rajoute deux heures supplémentaires à l’enseignement de la Philosophie. L’année suivante, le Décret Royal du 11.9.1897 établit un nouveau programme, dans lequel pour la première fois on détermine (de façon, certes, générale) l’objectif de l’enseignement de cette matière scolaire, qui est donc aider les enfants à appréhender les notions de base et de la Psychologie et de la Logique, de les familiariser avec les notions philosophiques d’éveiller leur intérêt pour une étude plus approfondie de la Philosophie. L’apprentissage de cette discipline apparaît donc plutôt comme une propédeutique, dans le sens hégélien, dont l’objectif final est de fournir une éducation philosophique élémentaire et préliminaire aux études universitaires de la Philosophie pour ceux qui peuvent compter là-dessus. Ce dernier programme avait toutefois ses côtés négatifs, car il prévoyait une diminution des heures d’enseignement hebdomadaire de la Psychologie aussi bien que de la Logique pour la réduire à deux heures : une heure en troisième et une autre en quatrième. Les quatre tentatives réformistes qui vont suivre (par les Décrets Royaux du 21 septembre 1900, du 6 septembre 1903, du 5 octobre 1906 et du 31 octobre 1914) n’apportent aucun changement en ce qui concerne la quantité horaire de l’enseignement de la Philosophie, mais redéfinissent tout de même les objectifs didactiques de la discipline qui est désormais vue comme un instrument pour développer l’attitude éthique de l’élève à l’égard de sa famille, de la société et de la citoyenneté.

Ces horaires dérisoires restent sans évolution dans le programme scolaire jusqu’à la tentative innovatrice de 1931, dont l’inspirateur principal est A.Delmouzos. La discipline est désormais intitulée “L’initiation à la Philosophie” et est - pour la première fois depuis la fondation de l’État grec moderne - enseignée à raison de quatre heures par semaine en classe de terminale (sixième). Pour la première fois également, l’éducation philosophique fait l’objet d’une si grande attention du programme analytique (scolaire) : le rédacteur de celui-ci propose un nombre assez considérable d’innovations dans la forme aussi bien que dans le fond. Les innovations les plus essentielles de ce programme concernent la volonté d’apprendre aux enfants à réunir les conclusions portées au sujet de chaque matière enseignée à l’école pour en synthétiser une théorie générale du monde et de la vie ; deuxièmement, la nouveauté de ce programme est aussi dans le rôle de l’enseignant qui est désormais en mesure de décider du matériel didactique en fonction du travail effectué par ses élèves dans leurs autres disciplines scolaires. Les résultats en étaient pourtant moins probants que l’on ne s’attendait, en raison d’une grande surestimation des capacités des élèves ainsi que de leurs professeurs. Ni les enfants étaient prêts à déduire eux-mêmes tout seuls une théorie générale du monde et de la vie, une préparation philosophique et un potentiel spirituel leur faisant défaut, ni les professeurs étaient prêts à se charger de choisir le matériel didactique à recommander à leurs élèves, compte tenu de l’insuffisance de l’éducation philosophique dans les universités et de celle de la bibliographie d’ouvrages appropriés et accessibles en langue grecque moderne.

Le changement du gouvernement qui suit ne met en œuvre aucune réforme dans l’enseignement de la Philosophie, mis à part la définition du matériel didactique (Décret Royal du 5.11.1935), divisé en trois catégories : la Psychologie, la Logique et la Gnoséologie. Pendant longtemps, l’enseignement de la Gnoséologie n’était dispensé que rarement en raison de l’insuffisance horaire, tandis que la plupart de professeurs ne disposant pas d’une préparation philosophique suffisante envisageaient la Logique comme une discipline fastidieuse et difficile et évitaient de s’en charger. Beaucoup de professeurs ont continué sur la voie facile de l’apprentissage par cœur des notions tirées du manuel scolaire sans analyse ni problématique posée, ce qui amenait à une compression du matériel sur quelques pages confuses, dont les élèves devaient puiser les connaissances nécessaires pour passer leurs examens oraux et écrits.

Après une période de trente ans qui n’a apporté aucun changement, nous arrivons à la date de 1964, quand une tentative de réformer le système d’éducation est entreprise par E.Papanoutsos sous le gouvernement de G.Papandreou ; les sciences sociales sont alors placées au centre du nouveau programme scolaire. La Philosophie, faisant partie des sciences sociales, constitue une matière scolaire intitulée “Éléments de Philosophie, de Psychologie et de Logique”, dont l’enseignement de deux heures hebdomadaires est prévu en avant-dernière classe de l’école. L’accent est mis sur la présentation des grandes époques dans l’histoire de la Philosophie et sur l’argumentation de ses valeurs pratiques.

L’installation de la dictature militaire du 21 avril 1967 abolit les acquis de la réforme de l’éducation de 1964, en même temps que toutes les autres institutions libérales. L’enseignement de la Psychologie et de la Philosophie de deux heurs par semaines persiste, toutefois, en cinquième et en sixième respectivement, quoique l’accent est mis davantage sur la Logique, la Gnoséologie et l’Épistémologie avec un triple but : initier les élèves à l’esprit et à la méthodologie des sciences, former chez eux une perception philosophiquement correcte et sûre du monde et de l’humanité, et enfin, cultiver leur pensée critique et éveiller leur intérêt pour la Philosophie.

En 1980, six ans après le rétablissement de la République, la semaine de cinq jours est pour la première fois appliquée dans l’enseignement (jusqu’en 1979, la semaine scolaire était composée de six jours). Puisque la totalité des heures hebdomadaires de tous les cours devait être diminuée à trente heures, les horaires de la Psychologie sont réduits de 67% (une heure seulement au premier et au deuxième semestre en cinquième), ainsi que les horaires de la Philosophie, qui sont réduits de 50% (une heure hebdomadaire en sixième). Cette évolution fait quasiment disparaître la Philosophie du programme scolaire et provoque du mécontentement et de la déception, jusqu’à ce qu’un nouveau programme analytique rétablit l’enseignement de la Philosophie en 1985, élaborant un nouveau manuel et octroyant à la Philosophie deux heures hebdomadaires en terminale. Ce manuel se présentait sous forme de quatre parties : Présentation chronologique de la Philosophie grecque antique, Éléments de la Logique classique, Problématiques de la Gnoséologie et Théorie générale de la Science. Sur ces quatre parties, seulement les deux premières étaient réellement enseignées, faute du temps de cours suffisant.

 

2. Les évolutions négatives de la dernière décennie

La situation réelle du système d’éducation en Grèce restait stable jusqu’à la réforme réalisée pendant la période de 1997 à 2000. Un des changements principaux opérés pendant cette période de trois ans dans la structure du système d’enseignement est le choix obligatoire des matières appartenant à une des trois options directionnelles : Théorique, Sciences Naturelles et Technologie, entre lesquelles il faut désormais choisir en deux dernières classes du lycée, tout en poursuivant en même classe les cours des matières de l’Éducation Générale, communes à tous les élèves (de toutes les trois directions sans différence).

Pour l’enseignement de la Philosophie plus particulièrement, une forte dépréciation de cette discipline dans l’éducation secondaire grecque a été marquée par l’innovation principale qui consiste à réserver le cours de la Philosophie exclusivement aux élèves de la direction Théorique, en tant que cours obligatoire initialement en terminale et, à partir l’année scolaire 2000-2001, également en avant-dernière classe du lycée. La majorité des élèves – tous ceux qui avaient opté pour les directions Sciences Naturelles ou la Technologie - ont été privés de l’occasion de découvrir pour soi les principes philosophiques de base. Cette évolution particulièrement négative vient bouleverser une réalité qui restait en vigueur dans les programmes scolaires encore depuis presque la fondation de l’État grec moderne. Il est évident qu’en plaçant la Philosophie au rang d’une discipline de spécialisation, on adopte une perception erronée des conceptions philosophiques fondamentales (telles que la connaissance, la vertu, l’éthique, l’existence et l’essence), ainsi que de la concentration intellectuelle et de la recherche spirituelle continue et conséquente comme d’une préoccupation d’un groupe privilégié d’une certaine catégorie professionnelle.

De surcroît, l’intégration de ce cours obligatoire de la direction Théorique dans les examens du Baccalauréat, qui ouvrent à un élève les portes vers l’éducation supérieure, entraîne encore trois conséquences directes et jusqu’ici inconnues pour le système éducatif grec. Premièrement, un grand nombre d’élèves a ainsi été poussé à suivre des cours extrascolaires de la Philosophie ; deuxièmement, les grandes maisons d’édition ont trouvé une motivation financière de publier des ouvrages de soutien scolaire et de les réaliser dans les librairies ; et troisièmement, les élèves se sont vu dans “l’obligation” de consacrer davantage de temps à l’étude du matériel des examens dans le but d’augmenter les chances d’obtenir une bonne moyenne au Baccalauréat afin de pouvoir entrer dans une université de leur choix. La situation change brusquement à partir de l’année 2003-2004 (et reste ainsi jusqu’à présent), quand on opère une dissociation de la Philosophie des examens du Baccalauréat et donc de son statut d’une matière nécessaire pour accéder aux études supérieures : d’une part, quasiment la totalité des élèves se retrouvent dispensés des cours extrascolaires et de l’achat des ouvrages d’aide alignés sur le programme de l’école, et de l’autre part, le temps consacré à l’étude de la philosophie diminue sensiblement.

Le Ministère de l’Éducation a essayé de résoudre le problème de l’absence du cours de la Philosophie dans le programme de l’ensemble des élèves, mais d’une manière qui était loin d’être efficace. Deux nouveaux cours sont introduits dans le programme de la terminale de la direction Sciences Naturelles seulement. Il s’agit de “la Problématique de la Philosophie” et de “la Logique : théorie et pratique”. L’enseignement de ces deux matières ne revêt cependant pas le caractère obligatoire, réservant à ces matières optionnelles une place parmi cinq autres cours, et ces options ne sont choisies que par une infime partie des élèves, dont la majorité écrasante reste philosophiquement passive. Il est caractéristique que, pendant l’année scolaire 2004-2005, on n’enseignait “la Problématique de la Philosophie” que seulement dans une école de la ville de Thessalonique, sur un total de 104 écoles. Le destin de la Logique est encore pire, car l’existence d’un manuel scolaire de cette discipline est ignorée même par les professeurs eux-mêmes.

En supplément de tout cela, une autre évolution particulièrement néfaste s’est produite pendant l’année scolaire 2000-2001 avec la suppression du cours intitulé “Textes philosophiques”, qui occupaient deux heures par semaine et amenait les enfants de quatorze ans à leur premier contact avec le monde inconnu de la Philosophie. Ce cours comprenait quatre textes des philosophes grecs antiques, traduits en grec moderne (habituellement, on utilisait l’Apologie, le Phédon et le Criton de Platon, ainsi qu’un petit extrait de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote) et accompagnés des commentaires, des explications et des résumés du contexte duquel ont été tirés les extraits proposés, ainsi que des questions de compréhension. Traditionnellement, le cours des “Textes philosophiques” représentait dans le système d’éducation grec une première occasion de connaître la Philosophie de la Grèce Antique et fournissait aux enfants du matériel pour leur première tentative d’approcher la réflexion philosophique.

Heureusement, le Ministère de l’Éducation a au moins compris son erreur et a décidé de rétablir le cours des “Textes philosophiques” trois ans seulement après leur suppression du programme scolaire. La nouvelle Anthologie est destinée à 25 heures d’enseignement dans l’ensemble et comporte des textes des philosophes en commençant par l’époque avant Socrate, en passant par Platon et Aristote et en allant jusqu’aux philosophes de l’Antiquité grecque tardive. La rédaction de l’Anthologie est supposée de se compléter au début de l’année 2008, et son application dans l’éducation secondaire est prévue à partir de l’année scolaire 2008-2009.

 

3. L’attitude de la communauté scientifique et son œuvre littéraire

On s’est toujours peu préoccupé de la question d’améliorer la place la Philosophie dans l’enseignement secondaire, et la majorité des philosophes grecs reste passive voire défaitiste. Le manque d’appréciation à l’égard de cette discipline dans le cadre scolaire ne laisse d’ailleurs pas le marge pour y une approche différente. Il est rare de voir un professeur de Philosophie à un poste haut placé dans le gouvernement ou dans le Ministère de l’Éducation (aux fonctions du conseiller, du directeur d’un projet curriculum etc.), or il n’a y a pas lieu de s’attendre qu’un changement signifiant vienne de la part d’un facteur institutionnel. Les professeurs de l’Université se trouvent loin des réalités de l’éducation secondaire, et probablement tel est leur choix, afin de se focaliser surtout sur la recherche, l’écriture et l’enseignement supérieur. Les professeurs du lycée, qui sont chargés d’enseigner toutes les matières ayant rapport aux sciences humaines (Grec ancien, Littérature grecque moderne, Histoire, Psychologie, Philosophie, Latin), ne manifestent pas de désir de lutter pour améliorer la place de la Philosophie, bien au contraire, ils évitent systématiquement de se charger de la responsabilité pour l’enseignement de cette discipline en préférant les autres qui sont plus faciles.

De façon générale, une action coordonnée n’a jamais eu lieu, mis à part les événements de 1980, quand la Philosophie était quasiment disparue du programme scolaire, ce qui a provoqué un bouleversement et une déception dans le milieu des philosophes en les faisant prendre conscience de la nécessité de se coaliser et d’agir immédiatement. L’année suivante on voit donc la création de “l’Union des Professeurs pour la promotion de la Philosophie dans l’enseignement secondaire” qui assure une coordination entre les organismes universitaires, les conseillers scolaires et les autres acteurs ayant un intérêt spécifique pour la Philosophie, et organise des événements scientifiques et culturelles, des congrès et des conférences poursuivant l’objectif d’imposer un nouveau programme analytique et de nouveaux horaires afin de remplir les normes pédagogiques et contemporaines. Les efforts de cette Union et des autres scientifiques ont finalement abouti à l’amélioration de la place de la Philosophie dans le programme analytique et dans la distribution des horaires scolaires de 1985.

La bibliographie au sujet de la problématique pédagogique de la Philosophie et de l’impact de celle-ci sur l’enseignement secondaire peut être considérée déficitaire, puisque les ouvrages publiés en Grèce sont très peu nombreux (essentiellement dans les revues Elliniki Filosofiki Epitheorisi (Inspection philosophique grecque), Nea Paideia (Nouvelle éducation) et Filologos (Philologue). Il est autant curieux qu’inquiétant de constater que la dernière décennie n’est pas marquée seulement par les évolutions négatives du statut de la Philosophie dans la système scolaire, mais également par une diminution quantitative des ouvrages publiés traitant de ce problème, tandis que les études consacrées à la problématique de l’enseignement des autres matières (Grec ancien, Grec moderne, Histoire, Psychologie) maintiennent une place assez importante parmi les livres qui sortent en ce moment. Il faut en conclure que la plupart des chercheurs sont arrivés à accepter, à contrecœur, certes, que la Philosophie est mal interprétée par beaucoup de personnes et vue comme un luxe qui dépasse le cadre de la vie quotidienne (primum vivere deinde philosophare), comme une préoccupation des dilettantes capables de n’affronter que des problématiques très générales et abstraites, ne portant pas à une application pratique et n’intéressant que des rêveurs idéalistes. Ils se voient donc dans le devoir de faire un effort de convaincre le public de l’importance de la Philosophie en faisant son apologie sous toutes les formes possibles, alors que dans tous les ouvrages publiés au sujet des autres Sciences Humaines on constate que leur importance est jugée évidente et n’a pas besoin de preuves. La spécificité de la nature de la Philosophie et la tendance à la sous-estimer, qui s’observe dans certains milieux, oblige ses partisans à argumenter sa valeur éducative. Au lieu d’analyser la problématique philosophique principale, le discours se concentre souvent – que ce soit sous forme d’une référence introductive ou d’une analyse plus détaillée – sur une énumération des preuves visant à confirmer l’importance et l’utilité de la Philosophie en tant que champ scientifique et en tant que discipline scolaire.

 

4. Manière d’enseigner la philosophie et le degré de progression des élèves

Pour enseigner la Philosophie, la majorité des professeurs s’engage tout d’abord sur la voie dialectique, c’est-à-dire la discussion avec les élèves, le plus souvent sous forme de nombreuses questions visant à créer un climat de coopération entre eux et à encourager les enfants à exprimer leurs opinions. Le déroulement le plus habituel du processus pédagogique d’une heure scolaire consiste de trois stades suivants : Les premières dix minutes sont consacrées à la révision et au contrôle de la compréhension de la leçon précédente, ainsi qu’à la liaison entre cette dernière et la leçon que l’on va aborder. Tout de suite après s’ensuit une présentation de la nouvelle leçon, qui dure à peu près quinze minutes et prend forme d’une narration que les élèves ne sont pas censés d’interrompre. Le dernier stade de 25 minutes est occupé par la discussion, les commentaires et la critique des éléments le plus intéressants de la leçon et les plus édifiants en ce qui concerne le développement des capacités et des attitudes spirituelles et sentimentales des enfants. À ce dernier stade, le rôle des élèves est primordial, et ils sont invités à développer leur propre problématique et à exprimer leurs propres inquiétudes philosophiques. Ainsi nous voyons que les professeurs estiment que pour maintenir l’engouement et la curiosité des élèves en éveil et pour les inciter à se questionner et à rechercher les solutions créatives, il est indispensable d’encourager l’expression libre de leurs opinions dans le cadre d’une discussion philosophique profondément essentielle (qui se tient le plus souvent entre le professeur et les élèves, mais parfois aussi entre les élèves eux-mêmes) dans un climat de réceptivité, de tolérance et de confiance.

Une moindre partie des professeurs choisit une dialectique d’enseignement de la Philosophie sous une forme que l’on pourrait caractériser comme centrée autour du professeur. Mais en raison de leur âge, la plupart des élèves ne sont pas encore assez mûrs pour prendre part à un dialogue philosophique constructif, et c’est principalement la cause de la réticence des professeurs à l’idée de consacrer une grande partie du temps de cours à organiser une discussion. Ces professeurs trouvent plus d’efficacité dans la présentation narrative d’un nouveau sujet et se sentent responsables de la distribution du temps de cours dans les conditions d’un programme scolaire à horaire limité et où une majorité des élèves n’ont aucune expérience de contact préalable avec la Philosophie, car ces conditions ne laissent pas beaucoup de marge pour une diversité d’approches didactique et d’expérimentation. Ils soutiennent donc la thèse d’un enseignant responsable et convenablement préparé philosophiquement et scientifiquement qui refuse la solution facile de dialogue avec les élèves, ces derniers n’étant même pas capables d’argumenter, et leur propose la méthode d’une présentation faite le livre fermé et accompagné prise de les notes.

Il faut enfin remarquer que peu sont les professeurs qui amènent systématiquement les élèves au contact avec les sources, c’est-à-dire avec des textes philosophiques brefs, pour les inciter à en faire des commentaires, de la critique, des interprétations et des approfondissements. Les textes des philosophes grecs antiques sont proposés aux élèves en traduction vers la langue grecque moderne. Dans les décennies 1970 et 1980, il existait un désaccord d’opinions intense entre les professeurs qui défendaient l’enseignement des textes philosophiques grecs antiques traduits, et ceux qui s’y opposaient et affirmaient que seulement un texte authentique peut conférer toute la profondeur et tout le sens exact de la Philosophie des Grecs antiques. Depuis plusieurs années, et tenant compte de la difficulté qu’ont les enfants à comprendre le grec ancien qui est une langue exceptionnellement difficile et complexe (bien qu’ils l’étudient à l’école), on s’accorde toutefois à donner la préférence au texte en tant que point de départ pour une réflexion philosophique et un travail de commentaire et d’analyse.
 

Étant donné la présence dérisoire du cours de la Philosophie dans les horaires du programme scolaire, les résultats des tentatives entreprises par les professeurs et l’œuvre didactique effectuée pendant l’année scolaire peuvent être considérés comme satisfaisants et précieux. Certains objectifs pédagogiques du programme analytique sont, certes, impossibles à atteindre, dans la mesure où ils supposent un niveau solide de connaissances philosophiques et une réflexion mûre. Ces atteintes sont malheureusement au dehors de la réalité, puisque c’est en avant-dernière classe que les élèves entrent ici en leur premier contact avec la Philosophie (souvent, ce contact est aussi le dernier), et leur réflexion n’est pas encore assez exercée. Ainsi, malgré l’état de tabula rasa dans lequel leur compétence en Philosophie demeure jusqu’à l’âge de 17 ans, les élèves acquièrent quelques connaissances philosophiques grâce à ces cours scolaires, même si ces connaissances peuvent être caractérisées comme superficielles et passagères.

5. Observations de conclusion

Selon la moyenne du temps de cours hebdomadaire, impliquée par son coefficient d’importance à l’échelle hiérarchisée des connaissances scolaires, le cours de la Philosophie est à l’avant-dernière place (avec seulement 1,2% du temps total prévu par les horaires du programme scolaire) parmi les matières enseignées à l’école secondaire depuis la fondation de l’État grec moderne et jusqu’à la fin de la Première Guerre Mondiale. Après la guerre, la place de la Philosophie dans le système d’éducation grec reste sans évolution signifiante jusqu’à la veille du 21-e siècle. Ainsi, la distribution hiérarchique des horaires scolaires entre les disciplines enseignées suit les règles établies encore pendant les cent premières années à compter de la fondation de l’État grec moderne, selon lesquelles la Philosophie n’occupe que 1,88% du total des horaires du programme, et ces heures dédiées à la Philosophie restent sans changement même malgré la croissance quantitative continue des heures scolaires hebdomadaires en général. Et si l’on s’engage dans une séparation logique et scientifiquement nécessaire entre la Philosophie et la Psychologie (ces deux disciplines constituant l’essentiel du cours de la Philosophie jusqu’à la fin du 20-e siècle), on arrive à constater que l’enseignement de la Philosophie n’occupe pas plus de deux heures dans aucun programme scolaire.

Parallèlement à la limitation du temps d’enseignement, on constate encore plus sensiblement une limitation de la présence de la Philosophie dans les programmes analytiques, dans les Directives et les Circulaires de Référence ; dans les rares cas où l’on y rencontre des instructions pédagogiques, du matériel didactique et des objectifs du cours, ce ne sont que quelques lignes qui n’apportent que très peu d’éclaircissement aux professeurs.

Pour conclure, l’institutionnalisation de l’enseignement de la Philosophie dans les programmes scolaires a toujours été entre les mains des décideurs hésitants ou timides, avec pour résultat une dépréciation continue et une présence très instable de cette matière dans l’enseignement secondaire. Aujourd’hui, la place de la Philosophie reste marginale sur le plan des horaires et des programmes analytiques et réservée à deux heures de cours par semaine en avant-dernière classe du lycée et exclusivement pour les élèves d’une direction de Baccalauréat parmi les trois qui existent. Les tentatives honorables de certains professeurs ne peuvent aboutir qu’à la création de quelques oasis, sous les conditions actuelles défavorables. Aujourd’hui, plus que jamais, la Philosophie est systématiquement mise en doute ici, dans sa patrie même. Les voix en sa défense s’entendent de plus en plus rarement, et son avenir semble être sinistre.

 

Dimitris Kiritsis