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Communiqué sur le programme et les conditions d’enseignement de la spécialité « Humanités, littérature et philosophie »

mercredi 7 novembre 2018, par Acireph

● Sur le cadre général de la réforme du lycée et de l’élaboration des programmes

Après s’être prononcée sur le cadre général de l’actuelle réforme du lycée, l’ACIREPh rappelle son opposition à la double logique de spécialisation précoce et d’économies d’échelle qui préside à la nouvelle articulation entre enseignements de tronc commun et de spécialité.

Le principe de libre choix des spécialités s’avère finalement être, après publication des décrets officiels, un leurre : toutes les spécialités proposées ne seront pas offertes dans tous les établissements. Il n’est pas sérieux de renvoyer certaines spécialités à des bassins d’établissements, voire à des académies entières. Comment songer sérieusement que les élèves soient à égalité face à l’éloignement géographique, et que le choix de leurs spécialités n’obéisse pas à autre chose en définitive qu’aux contraintes locales de leur établissement ?

Dans ses propositions à la mission présidée par M. Mathiot, l’ACIREPh soulignait l’intérêt d’associer l’enseignement de la philosophie avec d’autres disciplines que les lettres, comme les sciences économiques et sociales, les sciences de la vie et de la Terre ou les mathématiques. Pour le tronc commun, elle préconisait la mise en place d’un cursus progressif et cohérent de philosophie au lycée sur les trois années de Seconde, Première et Terminale.

L’ACIREPh avait transmis au Conseil supérieur des programmes des propositions concernant le programme de la spécialité « Humanités, littérature et philosophie » (HLP). Nous y soulignions notamment l’attractivité et l’intérêt d’une spécialité centrée sur les questions contemporaines et pouvant s’appuyer sur des œuvres cinématographiques.

L’ACIREPh a critiqué le fonctionnement des Groupes d’élaboration des projets de programmes (GEPP), l’autonomie réglementaire de leur travail au sein du CSP n’ayant pas été respectée. Nous regrettons ainsi de n’avoir pas pu, malgré nos demandes, rencontrer le GEPP consacré à la spécialité « Humanités, littérature et philosophie ». C’est la raison pour laquelle l’ACIREPh n’a pas répondu favorablement à l’invitation du CSP à une réunion de présentation du travail abouti, le 5 octobre 2018.

● Sur les objectifs et le contenu du programme de Première de la spécialité "Humanités, littérature et philosophie"

Après avoir pris connaissance du projet de programme publié par le Conseil supérieur des programmes, l’ACIREPh tient à souligner les points suivants :

 Le texte du programme stipule que cet enseignement soit assuré « à parts égales » par les professeurs de lettres et de philosophie, ainsi que l’ACIREPh l’avait demandé au CSP.

 Les objectifs de cette spécialité pour la formation intellectuelle des élèves ne sont indiqués que dans des termes très vagues dans le texte de préambule du programme. Quelles compétences, quelles connaissances sont censées être développés, et que doivent-ils apporter à la construction personnelle des élèves ? Ces objectifs doivent être précisés et ne doivent pas être strictement littéraires, centrés sur la description ou le maniement de figures rhétoriques, comme c’est le cas pour le premier semestre.

 L’effort de détermination du programme est intéressant. L’ancrage historique des thématiques choisies peut être de nature à donner des repères utiles pour comprendre que les idées ont une histoire. La chronologie permet aux éléments de savoirs souvent disparates chez les élèves de faire culture au lieu de s’éparpiller dans le vide. Cet ancrage n’empêche aucunement la nécessaire problématisation propre à la philosophie. Cette détermination par l’histoire pourrait permettre de compenser en partie les inégalités des élèves face à la culture scolaire.

 Cette détermination des objets d’étude semble cependant à géométrie variable, et à certains égards arbitraire, certains intitulés restant particulièrement flous, tandis que d’autres sont situés à des périodes historiques dont la pertinence peut être mise en question (ainsi des relations entre l’homme et l’animal, qui auraient probablement gagné en intérêt en étant intégrées au 20ème et 21ème siècle, à la lumière notamment des recherches récentes de l’anthropologie et de l’éthologie).

 Bien qu’explicitement indiquée, la possibilité de traiter des problématiques contemporaines à travers le prisme de l’histoire des idées semble très théorique, au regard des heures à consacrer à chacun des objets d’étude dans leur ancrage historique. Les humanités semblent ici entendues principalement comme dépositaires d’un héritage, et non comme des tremplins d’analyse pour « diagnostiquer le présent ». Cet aspect pose la question de la portée de la spécialité HLP, et, au-delà, de la démocratisation des humanités : s’agit-il de proposer à tous les lycéens une formation intellectuelle intéressante et attractive, ou bien ne vise-t-on qu’à attirer dans cette spécialité une élite se destinant aux classes préparatoires aux grandes écoles ?

 L’absence d’œuvre cinématographique dans les indications bibliographiques est regrettable. L’ACIREPh avait fait au CSP des propositions intéressantes en ce sens.

 Ce programme fait trop peu mention des dimensions éthiques, politiques et scientifiques qu’on pourrait s’attendre à trouver dans une culture humaniste, de même qu’il se limite à des productions européennes. Il semble très centré sur l’aspect littéraire, et l’on peine à imaginer qu’il soit enseigné à parts égales par les professeurs de chaque discipline. Ainsi l’intitulé « les pouvoirs de la parole » donne la part belle à une approche littéraire centrée sur une approche descriptive de la rhétorique. L’ACIREPh demande que soient plus explicitement indiquées l’articulation des procédés rhétoriques aux normes rationnelles de vérité et l’analyse critique des pouvoirs.

Comme elle l’avait déjà fait dans ses propositions au CSP, l’ACIREPh demande que cet enseignement fasse l’objet d’un suivi et d’une évaluation les 3 premières années de sa mise en œuvre, afin de pouvoir opérer les révisions et ajustements nécessaires en fonction des retours d’expérience.

● Sur les conditions d’enseignement de la spécialité "Humanités, littérature et philosophie"

Comme elle l’avait déjà fait dans ses propositions au CSP, l’ACIREPh demande que cette spécialité soit proposée au plus grand nombre de lycéens possible, c’est-à-dire dans tous les établissements, et invite l’ensemble des professeurs de philosophie à se mobiliser pour refuser qu’elle soit réduite à une spécialité de bassin, ou pire, d’académie.

Quels dispositifs de formation sont prévus pour travailler dans une approche interdisciplinaire, en elle-même intéressante et féconde, mais qui ne s’improvise pas ? L’ACIREPh souligne l’intérêt d’une approche interdisciplinaire, à la fois pour les élèves et pour les professeurs, mais demande que les moyens nécessaires soient mobilisés pour créer des conditions favorables à sa mise en œuvre.

Un tel programme nécessite une coordination des professeurs de lettres et de philosophie : quel cadrage horaire est prévu pour rendre possible ce travail indispensable de préparation des progressions, des cours et des modalités d’évaluation ?

Par ailleurs, il est difficile de se prononcer sur un programme sans connaître ses épreuves d’évaluation en classe de Terminale. Le flou des objectifs indiqués en termes de compétences et de connaissances renforce cette difficulté. Les acquis du programme de Première seront-ils évalués dans le cadre des épreuves organisées pendant l’année de Terminale, et si oui, comment ?

L’ACIREPh appelle par conséquent l’ensemble de la profession à participer à la consultation en ligne organisée par le Conseil supérieur des programmes du 5 au 20 novembre 2018 qui, si elle n’est pas de pure façade, doit permettre de transformer ce projet de programme pour l’améliorer.