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Communiqué sur le projet de réforme de la formation initiale et du recrutement des futurs professeurs

mercredi 15 janvier 2020, par Acireph

Une mauvaise réponse …

L’ACIREPh condamne le projet de réforme du CAPES [1] et des masters MEEF (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) et demande au Ministère de le retirer afin d’ouvrir la voie à une véritable concertation pour améliorer la formation et le recrutement des futurs professeurs de philosophie.

1) La seconde épreuve orale d’admission du CAPES, comptant pour un tiers de la note finale du candidat, consisterait en un « entretien sur la motivation du candidat et sa connaissance de l’environnement et des enjeux du service public de l’éducation, sa capacité à incarner et verbaliser les valeurs de la République et à se positionner en fonctionnaire ». Quelles sont ces valeurs, qui est apte à les enseigner et à en évaluer la connaissance ? En l’absence d’experts reconnus ou de consensus universitaire en la matière, on peut craindre une évaluation très subjective et variable en fonction des préférences politiques ou idéologiques des membres du jury. L’ACIREPh dénonce cette épreuve qui n’aura aucune chance d’évaluer ni les connaissances disciplinaires ni les savoir-faire pédagogiques des futurs enseignants, et dont on peut mettre en question les réelles finalités. Ainsi, les jurys du nouveau CAPES comporteraient des personnels des départements de « Ressources humaines » émanant de rectorats, du ministère, ou encore des proviseurs. L’ACIREPh s’oppose fermement à cette logique : on recrute des professeurs pour leurs qualités intellectuelles, pédagogiques et didactiques, non pour leur aptitude à se conformer à des exigences étrangères à l’enseignement.

2) Pendant leur année de Master 2, en pleine préparation du CAPES, les étudiants devraient suivre un stage en alternance, en responsabilité avec des classes, à hauteur d’un tiers temps de service d’enseignement, soit 6 heures hebdomadaires devant élèves, rémunéré sous un statut contractuel [2]. L’ACIREPh rejette ces dispositions qui, si elles étaient appliquées, exacerberaient la précarité des futurs enseignants et les priveraient du temps et des moyens nécessaires à leur formation universitaire, notamment à leurs travaux de recherche, et à leur préparation du concours lui-même. Cette surcharge de travail rendra encore plus difficile l’entrée dans le métier d’enseignant, contribuera à dévaloriser celui-ci et risquera d’accentuer la crise de recrutement que connaît la profession depuis la masterisation (2011). Qu’il faille que les étudiants se destinant à l’enseignement aient une expérience pratique du métier avant de passer le concours n’est pas contestable ; quelques stages ponctuels d’observation puis d’intervention au cours de leur formation y suffiraient. L’ACIREPh demande que la pleine responsabilité de classes intervienne pour les seuls lauréats du concours en tant que fonctionnaires stagiaires, pour un service à mi-temps, et qu’elle soit exclusive de toute autre tâche.

… à un vrai problème

Pour autant, l’ACIREPh ne défend pas le statu quo en ce qui concerne la formation et les concours de recrutement des professeurs de philosophie :

 La philosophie s’est illustrée depuis des décennies par son refus d’intégrer toute dimension pédagogique et didactique dans ses concours de recrutement, à la différence des autres disciplines qui y font d’ores et déjà une place suffisante. Ainsi, encore aujourd’hui, même les épreuves du CAPES officiellement intitulées « mise en situation professionnelle » et « analyse d’une situation d’enseignement » ont été systématiquement réduites à la traditionnelle leçon, ce dont témoignent les rapports de jurys. Les malheureux candidats qui, chaque année, s’imaginent devoir démontrer leur capacité à enseigner la philosophie à des élèves, se le voient reprocher et on leur préfère les habiles rhéteurs qui se conforment à la tradition de la dissertation ou de l’explication de texte transposée à l’oral. On peut d’ailleurs raisonnablement s’attendre, si cette réforme était mise en œuvre, à ce qu’en philosophie, la seconde épreuve d’admissibilité et la première épreuve d’admission connaissent le même sort. L’ACIREPh dénonce depuis vingt ans cette résistance des jurys des concours à toute forme de pédagogie ; pour ne rien dire de l’agrégation, qui reste vécue par un certain nombre de lauréats comme un titre symbolique sans rapport avec l’enseignement en lycée, auquel ils ne se destinent nullement. [3]

 La formation initiale des professeurs de philosophie ne les prépare pas suffisamment à leur futur métier car une trop faible place est accordée à la philosophie générale : selon les cursus on peut avoir des lacunes majeures. Les Universités, qui demandent le monopole de la formation des futurs professeurs de philosophie, seraient conséquentes en proposant des Masters spécifiques « Philosophie générale et enseignement » pour permettre à tous les candidats d’avoir les moyens de se donner la culture que l’on attend d’eux aux concours, qu’il s’agisse du CAPES ou de l’agrégation.

 la formation initiale et continue des enseignants de philosophie est presque exclusivement érudite et ne fait pour ainsi dire aucune place à l’échange sur les pratiques, à la réflexion sur les obstacles pédagogiques et à la mise en circulation des innovations. L’ACIREPh le déplore et demande une véritable réflexion collective sur cette question, préalable à une réforme qui prenne au sérieux la didactique et permette aux futurs professeurs d’être armés pour la réalité du métier.


[1« Professionnalisation de la formation et du concours des professeurs . Fiche 1 : Les épreuves du concours » DGRH-DGESCO-DGESIP , 20/11/2019.

[2« Accompagner l’alternance en seconde année de master MEEF », DGRH-DGESCO-DGESIP , 20/11/2019.

[3« Les concours, et tout particulièrement l’agrégation, sont conçus et vécus comme des “brevets d’excellence philosophique” et des moyens de continuer d’“être philosophe” plutôt que comme la voie d’entrée dans le métier de professeur de philosophie. Les épreuves privilégient simultanément la possession de connaissances très précises, voire pointues, d’histoire de la philosophie et la capacité inévitablement rhétorique à traiter de toute question possible. Passer une année entière à étudier des auteurs comme Fichte ou Plotin et se voir proposer à l’oral de l’agrégation des sujets comme “L’insouciance” ou “Qu’est-ce qu’un paysage ?”, est-ce vraiment la meilleure manière de se préparer à enseigner la philosophie ? » Manifeste pour l’enseignement de la philosophie, ACIREPh, 2001.