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La guerre des Programmes, 1975-2005

Documents rassemblés par S. Cospérec

Des professeurs de philosophie protestent contre les nouveaux programmes © Le Monde 2001

Cet article fait le point sur la bataille des programmes, quelques mois avant leur enterrement. On mesure à la fois le poids du contexte (séquelles du Ministère Allègre) et l’inanité des arguments de l’APPEP qui à force d’être répétés ont fini par persuader nombre de collègues que c’est effectivement la liquidation de la « liberté » de l’enseignement philosophique qui se prépare. On comprend aisément que la contestation ira croissante. Le bloc APPEP - Inspection générale (autour de la doyenne, Christiane Menasseyre) – FO a réussi son opération : monter une bonne partie des enseignants contre le projet de réforme proposée par le Groupe Technique Disciplinaire... Et les propositions d’Alain Renaut connaîtront bientôt le même sort que les propositions Derrida-Bouveresse.]

Des professeurs de philosophie protestent contre les nouveaux programmes

Sandrine Blanchard, LE MONDE du 31 janvier 2001

CLAUDE ALLÈGRE a beau être parti, la fronde de certaines disciplines continue. Les nouveaux programmes de philosophie, qui devaient être appliqués à la rentrée prochaine dans le cadre de la réforme des lycées initiée par l'ancien ministre de l'éducation nationale, suscitent à nouveau une polémique. Préparés depuis deux ans par le groupe technique disciplinaire (GTD), présidé par Alain Renaut, approuvés à une large majorité par le Conseil supérieur de l'éducation (CSE), publiés au Bulletin officiel du 31 août 2000, ces nouveaux programmes semblaient être sur les rails. Mais à l'issue de la consultation que vient de mener le ministère, une majorité des 4 500 professeurs de philosophie de l'enseignement public se sont prononcés contre ces nouveaux textes. Si les résultats ne concernent pour l'instant que quinze académies, ils sont suffisamment mauvais et signe d'un malaise profond pour que le cabinet de Jack Lang envisage de nouveaux ajustements.

Au cœur de la polémique, entretenue par l'Association des professeurs de philosophie de l'enseignement public (Appep) avec le soutien d'universitaires parisiens, resurgit la crainte d'un appauvrissement de la discipline. « Nous nous opposerons fermement à la mise en place soft d'un lycée light », prévient Charles Coutel, président de l'Appep, reprenant l'anglicisme maintes fois entendu lors des manifestations anti-Allègre et du violent débat entre pédagogues et défenseurs des savoirs. Les contestataires s'opposent aux trois principaux axes de la réforme qu'ils jugent  « inapplicables » car « contraires à l'esprit philosophique ». L'inscription dans les programmes de philo « d'un certain nombre de questions à ancrage contemporain » correspond, selon eux, « aux sirènes de la modernité ». Le «couplage des notions» aurait pour conséquence de « prédéterminer le contenu des cours et de l'examen » et donc de « remettre en cause la liberté du professeur». Enfin, les recommandations sur l'« apprentissage de l'argumentation » transformeraient les cours de philo en « débat d'opinion ».

 

UNE LISTE DE NOTIONS ET D'AUTEURS

Inchangés depuis 1973, les programmes actuels de philosophie ne sont qu'une liste de notions et d'auteurs. La massification du lycée, les transformations de la philosophie, le problème de l'évaluation au baccalauréat ressentie par bon nombre d'élèves comme aléatoire, la baisse des effectifs en filière littéraire sont autant de raisons qui ont justifié l'élaboration de nouveaux programmes. « On n'appauvrit rien, il ne s'agit que de mesures de bon sens, personne ne veut supprimer l'enseignement de la philosophie », se défend Alain Renaut, qui estime nécessaire de « produire un aggiornamento minimal de la philosophie ».

Le président du GTD regrette que la consultation se soit déroulée après la publication des textes officiels et qu'elle ait porté à la fois sur les nouveaux programmes et sur la réduction des horaires en filière scientifique (S) et économique et sociale (ES). André Pessel, inspecteur général honoraire et ancien membre du GTD, souligne que le respect de la liberté philosophique et pédagogique de l'enseignant « est réaffirmé dans les nouveaux programmes » et qu'il serait « invraisemblable que les professeurs de philosophie deviennent plus obéissants ».

Face au mécontentement exprimé lors de la consultation, le GTD, rebaptisé « groupe d'experts » par Jack Lang (Le Monde du 30 novembre 2000), va proposer une version révisée des programmes. Le couplage des notions ne devrait plus être systématique et les questions à ancrage contemporain devraient ouvrir sur des éléments de culture philosophique commune. Une réunion permettant à chaque camp d'exposer ses arguments devait se tenir, mercredi 31 janvier, au ministère. « S'il y a blocage, autant dire "on n'y arrive pas" et garder le programme de 1973 car le pire serait une pseudoréforme avec uniquement une nouvelle liste de notions », estime Alain Renaut. « Nous demandons au ministère de prendre ses responsabilités pour sortir de la crise », prévient Charles Coutel, dont l'association réclame la suspension de l'application de la réforme à la rentrée 2001 et la publication des résultats de la consultation. « Nous sommes favorables à une réduction du nombre de notions, nous acceptons une modification de programme mais pas dans l'esprit qui a été retenu », explique-t-il.

En engageant une consultation, alors même que les textes étaient déjà publiés, M. Lang souhaitait assouplir les relations entre les professeurs de philosophie et le ministère. Mais ce compromis risque d'aboutir au pis à un statu quo, au mieux à une réforme a minima.

Sandrine Blanchard