ACIREPh

La guerre des Programmes, 1975-2005

Documents rassemblés par S. Cospérec

Lettre du SNES-philo à la DESCO sur le projet de réforme du programme

Le SNES s’adresse en mai 1997 à la Direction des Lycées et Collèges (qui deviendra ensuite la DESCO – direction de l’enseignement scolaire, puis la DEGESCO) pour essayer de peser sur le projet car le GTD reste sourd aux critiques (pourtant très largement partagées)  des professeurs d’un projet qui le trouvent en l’état inutile et dangereux.  

 

 

Mardi 13 mai 1997

 

OBJET : PROJET DE PROGRAMME DE PHILOSOPHIE

 

Monsieur,

 

Nous avons l'honneur de porter a votre connaissance l'analyse générale que nous faisons du projet de programme de philosophie et nous vous prions de trouver dans l'annexe ci-jointe les observations plus particulières.

 

Concernant le programme proprement dit (le point 2 du projet) les modifications de

1'avant-projet étaient très nécessaires (et doivent être conservées) mais le texte reste très

insatisfaisant sur un certain nombre de points

 

1° Au lieu d'un véritable resserrement du programme, on a l'esquisse d'un allégement. Le programme reste bien trop lourd en L et dans les séries techniques, assez lourd en S et ES. Il est à craindre qu'il sature  le temps scolaire laissant peu de place aux exercices Si nécessaires à l'apprentissage du philosopher et à la préparation raisonnée et progressive de l'examen

 

2° La nécessité d'une spécification partielle du programme selon les séries est enfin prise en compte mais cela ne se traduit que faiblement dans le programme lui-même.

 

Le programme des séries techniques est quasiment inchangé. Or, nous savons tous que c'est là que l'enseignement de la philosophie rencontre les pires difficultés. Le Gtd a échoué, tout reste à faire concernant ces séries. Mais il n'en porte pas seul la responsabilité. Les travaux antérieurs ont tous signalé la nécessité d'augmenter l'horaire de philosophie dans ces séries et d'organiser une réflexion nationale spécifique sur la forme que pourrait y prendre cet enseignement, Le refus ministériel d'envisager la première (même en la liant a la seconde) a permis au reste de l'institution d'écarter la seconde. Symptomatique de la fausse bonne volonté, la question toujours non résolue du dédoublement dans ces séries comme le sait très bien la D.l,c.. On ne sortira de l'impasse qu'à condition de discuter l'ensemble horaire, programme et épreuves.

 

4° La liberté d'interprétation du programme demeure problématique au regard des épreuves.

 

Concernant les instructions accompagnant le programme (les points 1 et 3 du projet non soumis à consultation), nous attirons l'attention sur le fait que cette partie du projet nous parait totalement irrecevable en l’état et conduirait à un refus du texte. Les raisons de notre refus sont les suivantes:

 

Le texte semble entièrement fondé sur la négation des capacités réflexives et critiques des élèves dont la principale activité en classe est de noter la pensée du professeur. D'ailleurs l'esprit de ces instructions se résume facilement le professeur pense devant les élèves en une magistrale leçon et ceux-ci enregistrent passivement sa pensée (et chez eux tentent d'en retrouver la démarche), c'est une véritable falsification du dialogue philosophique dont il se prétend le garant. Le texte est si cohérent et si net à cet égard que les «instructions» de 1925, en comparaison, font figure d'un dangereux avant-gardisme pédagogique.. C'est dire l'ampleur de la régression.

Le texte doit être modifié en conséquence, c'est-à-dire insister sur la nécessité de former et de développer la réflexion des élèves, de les mettre pour cela en état de penser réellement grâce à une conduite de cours et des travaux de classe impliquant une réelle participation des élèves.

Il est inconcevable que la classe de philosophie ne soit pas une classe vivante, s'appuyant en partie au moins sur les activités des élèves : réflexion, recherche, analyse, discussion, élaboration conceptuelle. Tout cela n'est pas de la seul responsabilité du professeur comme le projet incline a le penser, mais du professeur et des élèves, ensemble.

Nous savons très bien (ou nous devrions le savoir) que les élèves progressent moins parce qu'on leur dit de faire ou par ce qu'on leur montre (fût-ce une pensée exemplaire) mais bien par ce qu'ils font.

 

2° Le texte est affecté d'une constante contradiction  il ne cesse proclamer haut et fort la liberté du professeur quant au contenu et à la méthode dans le moment même ou il impose quasiment la «leçon » d'agrégation comme modèle insurpassable d'initiation à la pensée philosophique et l'encyclopédie comme modèle de construction du cours (le terme d'encyclopédie n'est pas prononcé mais un philosophe sait bien ce que signifie la lourde insistance du projet sur l'unité et la totalité, la complétude et l'achèvement).

Le projet doit laisser les professeurs qui le souhaitent libres d'exercer et de développer la réflexion philosophique des élèves autrement que par « leçon». il faut donc en élargir la compréhension afin d'autoriser les pratiques diversifiées que les professeurs estiment nécessaires a leur enseignement et dont ils sont seuls juges sauf a nier précisément leur liberté de méthode,

 

Les professeurs semblent dispensés du souci de l'élève de l'attention a ses difficultés, de la nécessaire bienveillance a l'égard d'une pensée encore jeune et maladroite, etc. bref tout ce que les «Instructions» de 1925 appelaient le sens ou le tact pédagogique. Il faut réintroduire cet aspect dans le projet.

 

La manière dont le projet parle de la liberté du professeur est assez inquiétante, on

la croirait exclusive de tout droit et de tout devoir hormis ceux qui lui incombent par sa responsabilité d'avoir a penser en son nom propre. Or, cette liberté n'est pas celle des professions libérales, elle se comprend aussi dans le cadre de sa fonction de professeur de l'enseignement public, ce qui lui crée des devoirs et des responsabilités particulières à l'égard des élèves. Le projet devrait unir davantage la liberté et la responsabilité.

 

 

Notre dernière remarque concernera les épreuves  le texte s'en tient aux recommandations d'usage concernant « la dissertation» et «l'étude de texte» également qualifiée de « dissertation »au risque d'accroître la confusion sous prétexte de défendre l'esprit des épreuves. C'est vague à souhait et ne renseigne donc guère sur ce qui est attendu et exigible des élèves, ni en conséquence sur ce à quoi il faut les préparer.

On croyait que la nécessité, largement partagée et admise par les professeurs, de faire évoluer les épreuves, sans supprimer la dissertation, conduirait à des propositions nouvelles  en particulier dans les séries techniques où, de fait, l'exercice de la dissertation est très largement reconnu comme hors de portée de la très grande majorité des élèves Sérieux et travailleurs, et n'a donc plus aucune valeur discriminante. La question de la justice de l'examen est posée. Une modification des épreuves est-elle prévue ? Et, sinon pourquoi le travail du GTD n'a pas abouti ?

 

Nous vous prions d'agréer, Monsieur, l'expression de nos salutations respectueuses.

 

 

Groupe Philosophie du SNES