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La guerre des Programmes, 1975-2005

Documents rassemblés par S. Cospérec

Le saccage du programme de philosophie, texte paru dans Le syndicaliste des Lycées et Collèges, 1997

Ci-dessous la critique du syndicat FO dont le secteur philosophie est connu pour ses positions « instructionniste » et pseudo-républicaines, et à ce titre peu suspect de complaisance envers un projet écrit par l’Inspection Générale de Philosophie

 

LE SYNDICALISTE DES LYCÉES ET COLLÈGES –

N° 248 ou 13 MARS 1997

 

LE SACCAGE DU PROGRAMME DE PHILOSOPHIE

 

Depuis plusieurs années, le ministère fait pression pour qu'un changement de programme ait lieu en philosophie, comme il y est déjà parvenu dans les autres disciplines. Il semble que cette fois nous soyons à un moment critique où, si rien n'est fait, la récente proposition de programme issue du "GTD" (Groupe Technique Disciplinaire mis en place à l'origine par la loi Jospin) risque d'être imposée. Nous voulons alerter tous les collègues et notamment les professeurs de philosophie sur ce point. Disons d'emblée que le programme actuel, de 1973, a le mérite de sa cohérence et de son ouverture : il n'y manque aucune des grandes notions qui occupent la réflexion philosophique. L'organisation en est cohérente et le professeur y reste absolument responsable de la conduite de sa pensée et de sa classe. Bien sûr, la liste des auteurs de référence peut être élargie, mais c'est un aspect secondaire. De même, dans le programme de notions, on peut s'accorder sur des retouches mineures.

 

Mais, comme on le sait, il faut totalement "changer" et "moderniser". Et la philosophie ne doit pas se singulariser, il faut qu'elle aussi subisse des "allégements". Le projet du GTD se targue de continuité par rapport au programme actuel : façon d'avouer que ce programme est bon... Mais, dans les faits, cette continuité n'est qu'une ressemblance parodique. A y regarder de près, la cohérence et l'organisation qui marquent l'actuel programme font totalement défaut au projet.

Ce qui est en question, c'est moins le resserrement quantitatif des notions (appauvrissement inévitable qui accompagne tout "allègement") que les mutilations qu'il implique. Pour ne donner qu'un aperçu, disparaîtraient du programme de L les notions suivantes : la culture, la société, l'inconscient, la mort, la mémoire, la volonté, les passions, parmi d'autres et sans que rien de significatif ne vienne les remplacer. Au contraire, s'introduisent de nouvelles notions qui doivent tout à la mode, au flou et au pédantisme, rien au simple bon sens : la démonstration, l'interprétation, le mal, l'image, la beauté...

 

Par ailleurs, la liste des notions déjà amputée, est découpée en tronçons qui conservent une similitude apparente avec les parties de l'actuel programme mais qui en fait n'ont aucun sens.

 

On n'a visiblement plus un programme construit mais un "listing" de notions.

 

En réalité, la médiocrité du projet, ses absurdités évidentes, font que l'éventuel programme qui en serait issu ne durerait pas et devrait être à son tour "refondu" et "allégé" Et là est bien l'essentiel : le projet du GTD est un compromis suffisamment plat d'apparence, et assez en prétendue continuité avec le programme actuel, pour pouvoir espérer s'imposer. Porter atteinte au programme actuel en le détruisant de l'intérieur, c'est enclencher un processus de désagrégation (au même titre que, sur un autre plan, réduire le temps accordé aux correcteurs de philosophie au bac).

 

Bien entendu, le projet du GTD n'est pas allé sans "consultation", selon le plus pur schéma du "démocratisme" en vogue depuis la loi Jospin. Tous les "partenaires" et tous les collègues, auront pu "s 'impliquer" et donner leur avis. Et de fait, beaucoup de collègues auront sérieusement discuté des propositions du GTD et proposé leurs amendements. Ne voyant pas que ces amendements épars, issus des meilleures intentions mais s'annulant les uns les autres, ne faisaient que consacrer l'entreprise de destruction du programme actuel.

 

La question est posée : comment dans le peu de temps qui nous reste faire échec à ce projet de réforme qui en annonce de bien pires ?

 

Emmanuel Carsin et Max Laffont

Professeurs de philosophie